Le feu de satan
l’intention d’y retourner voir.
Corbett se hâta de mettre pied à terre en ordonnant à ses serviteurs de faire de même.
— Abritez-vous derrière les chevaux ! leur conseilla-t-il.
Ils longèrent Coppergate. Un marchand accourut vers eux, protestant contre leur course folle. Ranulf dégaina son épée en criant qu’ils étaient en mission, au service du roi. L’homme recula.
— Qu’est-ce que c’était que cette flèche ? dit Ranulf. Un avertissement ?
— Je ne crois pas, répondit Corbett. Si je n’avais pas tourné bride, ce carreau aurait fait mouche.
— Si nous revenions là-bas ? suggéra Maltote. Peut-être que...
— Ne dis pas de sottises ! gronda Ranulf.
Il gesticula vers les demeures qui les entouraient.
— Fenêtres, portes, passages, coins et recoins, on pourrait cacher toute une armée dans cette bonne ville d’York.
Corbett poursuivit son chemin, l’estomac noué. Il s’en était fallu d’un cheveu ! Il en avait des sueurs froides et la tête qui lui tournait. Il essaya de ne plus y songer, se concentrant sur les couleurs, les cris et les appels des marchands, mais la peur le tenaillait encore. Il avait envie de foncer dans la foule, épée au poing. Il s’aperçut également qu’il ne pouvait s’empêcher de penser à Maeve et à Aliénor, sa petite fille. « On doit avoir entrepris le grand nettoyage de printemps au manoir, se dit-il. Maeve a sans doute mis le domaine sens dessus dessous. » Seigneur ! Est-ce à cela qu’elle s’occuperait lorsque le messager remonterait l’allée du manoir ?
Courrait-elle à sa rencontre ? Comment réagirait-elle en lisant le message du roi lui apprenant que son époux – fidèle et bien-aimé clerc du souverain – avait péri sous les coups d’un assassin à York ? Il entendit son nom, comme dans un rêve.
— Messire ? Sir Hugh ?
Il s’arrêta et croisa le regard de Ranulf.
— Oui ? dit-il d’une voix étranglée, la gorge et les lèvres sèches.
— Savez-vous où nous allons ? s’enquit doucement son serviteur effrayé par sa pâleur.
— J’ai commis une erreur, Ranulf, admit Corbett, et je le regrette. Nous aurions dû quitter la ville.
— Absurde ! protesta le serviteur en saisissant la main glacée du magistrat. Allons au Manteau Vert ! suggéra-t-il tranquillement. Prenons ce tonnelet et rendons-nous à Framlingham ! Nous interdirons à ces maudits templiers de quitter leur domaine. Puis vous les interrogerez, vous vous plongerez dans une longue méditation comme à l’accoutumée et, avant l’Ascension, un félon de plus aura subi le sort qu’il mérite. Bon, allons-y ! Ressaisissez-vous, Sir Hugh. Après tout, moi, je quitte bien Lucia !
— Lucia ?
— Oui, Messire. La plus belle fille d’York, dit Ranulf en se remettant en route. Elle a un teint de pêche, des cheveux noirs de jais et des yeux plus bleus que le firmament, précisa-t-il en montrant le ciel entre les colombages.
Il regarda Maltote par-dessus son épaule.
— Et elle a une soeur, en plus ! En fait, elles me rappellent, toutes les deux, cette histoire qu’on m’a racontée : l’évêque de Lincoln avait trouvé refuge dans une ferme en pleine nuit...
Rasséréné par le bavardage de son serviteur, Corbett se détendit peu à peu. Ils firent halte à l’angle d’Hosier Lane où Ranulf demanda à un gamin de les conduire à la taverne de Maître Seagrave.
Le Manteau Vert, vaste demeure à trois étages, agrandie par des ailes latérales, se dressait au milieu d’un beau domaine près de Newgate. C’était un village en lui-même, car la cour, défendue par un haut mur, abritait communs, forge, écuries, petite tannerie et ateliers de charron et de charpentier. Le propriétaire des lieux, Hubert Seagrave, vint les accueillir. Vêtu d’un habit de pure laine, plus comme un marchand que comme un aubergiste, il avait coiffé son crâne dégarni d’un chapeau de paille pour le protéger des ardeurs du soleil. Il traversa la cour, l’air avantageux, en brandissant une canne.
— On dirait un évêque dans son palais ! chuchota Ranulf.
Seagrave avait, de toute évidence, l’habitude de recevoir des officiers du roi, mais une obséquiosité accrue envahit ses traits durs et ses yeux de fouine lorsque Corbett se présenta.
— Je suis navré, Messire, je ne savais pas... bredouilla-t-il. D’ordinaire, ce sont de simples serviteurs de la maison royale qui viennent...
— Notre
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