Le feu de satan
affirma-t-il gentiment. On parlera d’Odo Cressingham, chevalier et érudit. Votre chronique sera recopiée dans tous les scriptoriums des monastères et couvents de ce pays, et les collèges d’Oxford et de Cambridge se l’arracheront.
Odo leva vers lui des yeux brillants.
— Vous croyez ?
— J’en suis sûr. Le roi a une grande bibliothèque à Westminster. Il en voudra certainement une copie, mais, mon frère, réfléchissez encore à ce que vous avez vu le matin de la mort de Sir Guido.
L’archiviste le lui promit et, fort de cette assurance, Corbett rejoignit ses serviteurs aux écuries.
Quelques minutes après, ils quittaient le manoir en compagnie de Claverley qui argumentait à n’en plus finir avec Ranulf pour savoir laquelle – d’York ou de Londres – était la plus belle ville. Ils parcoururent l’allée déserte et, franchissant les portes gardées par les sentinelles, prirent la route d’York sur leur gauche. Le jour tirait à sa fin, mais le soleil était encore très chaud au-dessus des haies qu’animaient le va-et-vient des petits passereaux et le butinement des abeilles sur les fleurs sauvages.
— J’ai des ruches, déclara Claverley, une bonne douzaine dans mon jardin, le meilleur miel de tout York, Sir Hugh.
Corbett esquissa un sourire distrait. Par la pensée, il se revoyait dans la bibliothèque. Odo s’était souvenu de quelque chose. Le clerc espérait que la longue mémoire du vieillard lui fournirait la clé de toutes ces énigmes. Ils chevauchèrent quelque temps à l’ombre des hautes futaies. Soudain Claverley tira sur les rênes.
— Il nous faut quitter la grand-route à présent, dit-il en désignant, à la lisière, un étroit sentier bien battu. On a retrouvé les restes du corps plus avant, dans la forêt.
— Comment cela s’est-il passé ? demanda Ranulf.
— Une bête sauvage les aura déterrés, puis les chiens de chasse les ont flairés, tout pourris et déchiquetés, et se les sont disputés. On les a mis dans un sac de cuir et un verdier {28} les a transportés à York pour qu’on les enterre dans la fosse commune. Venez, je vais vous montrer.
Abandonnant la grand-route, ils s’enfoncèrent entre les halliers. Dans la lumière déclinante, le chemin tortueux se faufilait entre yeuses, hêtres, ormes, mélèzes, peupliers, sycomores et hêtres pourpres.
Le ciel disparut, le soleil ne parvenait plus à percer l’épaisseur des frondaisons et l’entrelacs des branches. Les bruissements dans les fougères et les trilles soudains des oiseaux rendaient les chevaux nerveux. De temps à autre, les arbres laissaient place à des clairières envahies d’une herbe haute et luxuriante, qu’émaillaient des fleurs au parfum entêtant. Puis à nouveau la pénombre verte, comme une étrange cathédrale aux voûtes de verdure, aux murs d’écorce, où se serait élevé le plain-chant assourdi des choeurs d’oiseaux. Ranulf, qui n’avait pourtant peur de rien, cessa d’échanger des plaisanteries avec Claverley et jeta des regards anxieux alentour. Corbett chevauchait en tête, guidant soigneusement sa monture et guettant le moindre craquement de brindille ou un bruit de pas qui aurait signifié « danger ». Parfois, son cheval flanellait {29} et renâclait de colère. Corbett alors affermissait les rênes dans ses mains et flattait son encolure en le calmant de la voix.
— Je suis déjà venu, bien sûr, déclara Claverley.
Ses paroles se répercutèrent sous les arbres.
— Ce n’est plus très loin.
Il talonna sa monture et ils pénétrèrent bientôt dans une petite clairière. Il montra un amas rocheux, au centre, où s’amoncelait de la terre provenant d’une fosse. Corbett pressa son cheval et scruta attentivement l’endroit où avaient été enterrés les restes macabres de l’inconnu. Il aperçut une croix grossièrement tracée sur un rocher.
— Y a-t-il un lieu habité près d’ici ? Un hameau, un village ?
Claverley gratta ses cheveux ras en haussant les épaules.
— Pas à ma connaissance.
— Bon, nous n’en avons pas rencontré, réfléchit Corbett. Et rien à droite ni à gauche. Continuons donc sur le sentier.
Ils s’enfoncèrent plus avant dans la forêt. Corbett ferma les yeux et pria pour que l’assassin ne les ait pas suivis. Soudain il arrêta son cheval qui hennissait légèrement, énervé par une acre odeur de fumée.
— Une habitation, droit devant, dit-il.
— Un verdier, sans
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