Le feu de satan
même chose ici.
— Et cela est ouvert à tous les membres ? reprit Corbett.
— Non, non ! se récria Molay. C’est réservé à Sir Richard et à moi-même, car nous avons atteint un certain degré de connaissance.
Il restait dans l’ombre, le visage détourné. Corbett sentait intuitivement qu’il lui cachait quelque chose, mais qu’ajouter à cela ? Il avait posé ses questions et Jacques de Molay y avait répondu.
Le clerc revint sur le seuil.
— Je vous sais gré de votre grande courtoisie, Monseigneur. Ce matin, un serviteur a déposé, dans vos cuisines, un tonnelet de vin, cadeau du roi, mon maître.
Il sourit.
— Une bien maigre compensation pour tout le dérangement que je vous ai causé.
CHAPITRE VII
Corbett sortit de la soupente, mais se retourna dans l’escalier.
— Au fait, Monseigneur, quelqu’un a-t-il quitté le manoir hier soir ?
— Non, à part les serviteurs qui ont levé le camp. Les ordres sont stricts : aucun membre de la communauté ne doit franchir les limites du domaine.
Corbett le remercia et revint à ses quartiers. Ranulf et Maltote avaient entamé, avec Claverley, une discussion fort animée sur le subtil emploi des dés plombés et la facilité avec laquelle le poutrain {26} se prêtait à la tricherie.
— Partons d’ici, lança énergiquement le garde du Sceau privé. Maltote, selle les chevaux. Ranulf, prends ma cape et mon baudrier. Je vous rejoins aux écuries.
— Qu’allez-vous faire, Messire ?
— M’entretenir avec frère Odo. Au fait, Claverley, cria-t-il en s’éloignant, suivez mon conseil : ne jouez jamais aux dés avec Ranulf et ne lui achetez pas de potions miracles !
Un sergent le conduisit à la bibliothèque, une belle salle voûtée toute en longueur, qui, située à l’arrière du corps de logis, avait vue sur les jardins. La fraîcheur y était agréable. Le long des murs, des étagères disparaissaient sous les livres dont certains étaient cadenassés et attachés par des chaînettes, tandis que d’autres reposaient, ouverts, sur des lutrins. Les stalles de lecture, aménagées au fond de la salle, contenaient, derrière une petite clôture, une table, une chaise, une écritoire et une grosse bougie de cire vierge avec son éteignoir de métal. Corbett crut l’endroit désert. Aussi commença-t-il à déambuler dans la vaste pièce où résonnait le bruit de ses pas.
— Qui va là ?
Il sursauta. Frère Odo surgit de la pénombre : il travaillait à un manuscrit, comme en témoignait sa main valide maculée d’encre.
— Sir Hugh, j’ignorais que vous étiez un rat de bibliothèque !
— J’aimerais l’être !
Corbett serra la main de l’archiviste qui le mena dans l’une des stalles.
— Tous ces livres et manuscrits sont la propriété du Temple, expliqua le vieillard, ou du moins de la province située au nord de la Trent.
Il effleura ses lèvres tachées d’encre et contempla les étagères avec tristesse.
— Nous en avons perdu tellement en Orient ! Nous avions même un original des commentaires de Jérôme... Mais ce n’est pas pour cela que vous êtes venu, n’est-ce pas ?
D’un geste autoritaire, il désigna l’escabeau près de sa chaise. Corbett s’assit, un peu gêné, et fixa les manuscrits étalés sur le bureau.
— Je rédige une chronique, annonça Odo avec fierté. Le récit du siège et de la chute de Saint-Jean-d’Acre.
Il prit une page de vélin. Corbett distingua un croquis représentant des templiers – reconnaissables à la croix pattée sur leurs manteaux – qui défendaient une tour en jetant pierres et lances sur des mamelouks à la mine patibulaire. Bien que manquant de précision et ne respectant guère les proportions, le dessin vibrait d’une rare intensité. Il s’accompagnait, au-dessous, d’un commentaire en latin, rédigé en caractères minuscules.
— J’ai déjà écrit soixante-treize chapitres, mais j’espère que ma chronique en comptera deux cents. Ce sera un témoignage permanent de la vaillance de notre ordre.
Un parchemin glissa de la table. Corbett le ramassa. Il vit des caractères étranges, comme tordus. Employant quotidiennement latin et français normand à la chancellerie royale, il pensa que c’était du grec.
— Quelle langue croyez-vous que ce soit ? lui demanda Odo sur un ton taquin.
— Du grec ?
L’archiviste reprit le parchemin avec un petit sourire.
— Non. Ce sont des runes, des runes
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