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Le Feu (Journal d'une Escouade)

Le Feu (Journal d'une Escouade)

Titel: Le Feu (Journal d'une Escouade) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Barbusse
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j'parie, l'tétard du major, çui que l'véto disait qu'c'était un veau en train de d'venir une vache.
    – C'est bien organisé tout d'même, tout ça, y a pas à dire ! admire Lamuse, refoulé par un flot d'artilleurs portant des caisses.
    – C'est vrai, concède Marthereau, pour conduire tout c'fourbi à la voile, faut pas être une bande de navets, et pas non plus une bande de flans… Bon Dieu, fais attention où c'que ru poses tes ribouis maudits, peau d'tripe, bête noire !
    – Tu parles d'un déménagement. Quand j'm'ai installé à Marcoussis avec ma famille, ça a fait moins d'chichi. C'est vrai que j'suis pas chichiard non plus.
    On se tait et alors on entend Cocon qui dit :
    – Pour voir passer toute l'armée française qui tient les lignes – je ne parle pas de c'qui est installé en arrière, où il y a deux fois plus d'hommes encore, et des services comme des ambulances qu'ont coûté 9 millions et qui vous évacuent des 7000 malades par jour – pour la voir passer dans des trains de soixante wagons qui se suivraient sans arrêt à un quart d'heure d'intervalle, il faudrait quarante jours et quarante nuits.
    – Ah ! disent-ils.
    Mais c'est trop pour leur imagination ; ils se désintéressent, se dégoûtent de la grandeur de ces chiffres. Ils bâillent, et suivent d'un œil larmoyant, dans le bouleversement des galopades, des cris, de la fumée, des mugissements, des lueurs et des éclairs – au loin, sur un embrasement de l'horizon, la ligne terrible du train blindé qui passe.

CHAPITRE HUITIÈME
  La permission
     
    Eudore s'assit là un moment, près du puits de la route, avant de prendre, à travers champs, le chemin qui conduisait aux tranchées. Un genou dans ses mains croisées, levant sa frimousse pâle – où il n'y avait pas de moustache sous le nez, mais seulement un petit pinceau plat au-dessus de chaque coin de la bouche il sifflota, puis bâilla jusqu'aux larmes à la face du matin.
    Un tringlot qui cantonnait à la lisière du bois, là-bas – ou il y a une file de voitures et de chevaux, telle une halte de bohémiens – et qu'attirait le puits de la route, s'avançait avec deux seaux de toile qui, à chacun de ses pas, dansaient au bout de chacun de ses bras. Il s'arrêta devant ce fantassin sans armes muni d'une musette gonflée, et qui avait sommeil.
    – T'es permissionnaire ?
    – Oui, dit Eudore, j'en rentre.
    – Ben, mon vieux, dit le tringlot en s'éloignant, t'es pas à plaindre, si t'as comme ça six jours de permission dans l'bidon.
    Mais voilà que quatre hommes descendaient la route, d'un pied lourd et pas pressé, et leurs souliers, à cause de la boue, étaient énormes comme des caricatures de souliers. Ils s'arrêtèrent comme un seul homme en apercevant le profil d'Eudore.
    – V'là Eudore ! Eh ! Eudore ! Eh ! cette vieille noix, c'est donc que t'es r'venu ! s'écrièrent-ils ensuite, en s'élançant vers lui, et en lui tendant leurs mains aussi grosses que s'ils portaient des gants de laine rousse.
    – Bonjour, les enfants, dit Eudore.
    – Ça s'est bien tiré ? Quoi qu'tu dis, mon gars, quoi ?
    – Oui, répondit Eudore. Pas mal.
    – Nous v'nons d'corvèe de vin ; nous avons fait not' plein. On va rentrer ensemble, pas ?
    Ils descendirent à la queue leu leu le talus de la route et s'en allèrent bras dessus bras dessous à travers le champ enduit d'un mortier gris où la marche faisait un bruit de pâte brassée au pétrin.
    – Comme ça, t'as vu ta femme, ta petite Mariette, pisque tu n'vivais que pour ça, et que tu n'pouvais pas ouvrir ton bec sans nous visser un ours à propos d'elle !
    La figure pâlotte d'Eudore se pinça.
    – Ma femme, je l'ai vue, bien sûr, mais une petite fois seulement. Y a pas eu plan d'avoir mieux. C'est pas d'veine, j'dis pas, mais c'est comme ça.
    – Comment ça ?
    – Comment ! Tu sais que nous habitons Villers-l'Abbé, un hameau de quatre maisons ni plus ni moins, à cheval sur une route. Une de ces maisons, c'est justement notre estaminet, qu'elle tient ou plutôt qu'elle retient depuis que l'patelin n'est plus amoché par le marmitage.
    » Et alors, en vue d'une permission, elle avait demandé un laissez-passer pour Mont-Saint-Éloi, où sont mes vieux, et moi, ma perme était pour Mont-Saint-Éloi. Tu saisis la combine ?
    » Comme c'est une petite femme de tête, tu sais, elle avait demandé son laissez-passer bien avant la date qu'on croyait de mon départ en perme.

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