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Le Feu (Journal d'une Escouade)

Le Feu (Journal d'une Escouade)

Titel: Le Feu (Journal d'une Escouade) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Barbusse
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Quoique ça, mon départ est arrivé, si j'peux dire, avant qu'elle ait eu son autorisation. J'suis parti tout d'même : tu sais qu'à la compagnie faut pas louper son tour. J'suis donc resté avec mes vieux à attendre. J'les aime bien, mais j'faisais tout de même la gueule. Eux, ils étaient contents de me voir et embêtés de m'voir embêté dans leur compagnie. Mais qu'y faire ? À la fin du sixième jour – à la fin d'ma perme, la veille de rentrer ! – un jeune homme en vélo – l'fils Florence – m'apporte une lettre de Mariette, qu'elle n'avait pas encore son laissez-passer… »
    – Ah ! malheur ! exclamèrent les interlocuteurs.
    – … mais, continua Eudore, qu'y avait qu'une chose à faire, c'était que j'demand', moi, la permission au maire de Mont-Saint-Éloi, qui d'mand'rait à l'autorité militaire, et que j'aille de ma personne, et au galop, à Villers, la voir.
    – Il aurait fallu faire ça l'premier jour, et pas l'sixième !
    – Videmment, mais j'avais peur d'm'croiser avec elle et d'la louper, vu que, dès mon arrivée, j'l'attendais toujours, et qu'à chaque instant j'pensais la voir dans la porte ouverte. J'ai fait c'qu'elle me disait.
    – En fin de compte, t'l'as vue ?
    – Qu'un jour, ou plutôt qu'une nuit, répondit Eudore.
    – Ça suffit ! s'écria gaillardement Lamuse.
    – Eh oui ! renchérit Paradis. En une nuit, un zigotteau comme toi, ça en fait, et même ça en prépare, du boulot !
    – Aussi, vise-le, c't'air fatigué ! Tu parles d'une louba qu'i's'est envoyée, ce va-nu-pieds-là ! Ah ! charogne, va !
    Eudore secoua sa figure pâle et sérieuse sous l'averse des quolibets scabreux.
    – Les gars, bouclez-les cinq minutes, vos grandes gueules.
    – Raconte-nous ça, petit.
    – C'est pas une histoire, dit Eudore.
    – Alors, tu disais que t'avais l'cafard entre tes vieux ?
    – Eh oui ! I's avaient beau essayer de m'remplacer Mariette avec des belles tranches de notre jambon, de l'eau-de-vie de prune, des raccommodages de linge et des petites gâteries… (Et même j'ai r'marqué qu'i's s'ret'naient de s'engueuler comme d'habitude.) Mais tu parles d'une différence ; et c'était toujours la porte que j'regardais pour voir si des fois elle remuerait pas et s'changerait en femme. J'ai donc visité l'maire et je m'suis mis en route, hier, vers les deux heures de l'après-midi vers les quatorze heures, j'peux bien dire putôt, vu que j'comptais bien les heures depuis la veille ! J'avais donc plus juste qu'une nuit d'permission !
    » En approchant, à la brune, par la portière du wagon du petit chemin de fer qui marche encore là-bas sur des bouts de voie, je r'connaissais à moitié le paysage et à moitié je le r'connaissais pas. Je l'sentais par-ci par-là tout d'un coup qui s'refaisait et se fondait dans moi comme si il s'mettait à m'parler. Puis, i' s'taisait. À la fin, on a débarqué, et il a fallu, c'qu'est un comble, aller à pied jusqu'à la dernière station.
    » Jamais, mon vieux, jamais j'ai eu temps pareil : six jours qu'i' pleuvait ; six jours que le ciel i' lavait la terre et la r'lavait. La terre s'amollissait et s'bougeait et allait dans des trous et en f'sait d'autres. »
    – Ici aussi. La pluie n'a pas décessé que c'matin.
    – C'est bien ma veine. Aussi partout des ruisseaux grossis et nouveaux qui venaient effacer comme des lignes sur le papier, la bordure des champs ; des collines qui coulaient depuis le haut jusqu'en bas. Des coups de vent qui faisaient dans la nuit, tout d'un coup, des nuages de pluie passant et roulant au galop et nous cinglant les pattes, et la figure et l'cou.
    » C'est égal, quand j'ai arrivé pédibus à la station, il en aurait fallu un qui fasse une rudement laide grimace pour me faire retourner en arrière !
    » Mais v'là-t-i' pas qu'en arrivant au pays, on était plusieurs : d'autres permissionnaires, qui n'allaient pas à Villers, mais étaient obligés d'y passer pour aller aut' part. De c'te façon, on est entré en bande… On était cinq vieux camarades qui s'connaissaient pas. Je n'retrouvais rien de rien. Par là, ça a été plus bombardé encore que par ici, et pis l'eau, et puis, ça f'sait soir.
    » J'vous ai dit qu'il n'y a qu'quatre maisons dans l'pat'lin. Seulement, elles sont loin l'une de l'autre. On arrive dans le bas de la hauteur. J'savais pas très bien où j'étais, non plus qu'les copains qui avaient pourtant une petite idée du pays, vu qu'i's étaient

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