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Le Feu (Journal d'une Escouade)

Le Feu (Journal d'une Escouade)

Titel: Le Feu (Journal d'une Escouade) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Barbusse
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juste devant nos yeux, s'éclaira. Rien n'attire le soldat comme, dans le gris monotone du soir, une fenêtre derrière laquelle il y a l'étoile d'une lampe.
    – Si on faisait une virée ! proposa Volpatte.
    – Tout de même, dit Paradis.
    Il se soulève, se lève. Boitant de fatigue, il se dirige vers la fenêtre dorée qui a fait son apparition dans l'ombre ; puis vers la porte.
    Volpatte le suit et moi je viens après.
    On entre, et on demande au vieux bonhomme qui nous a ouvert et qui présente une tête clignotante, aussi usée qu'un vieux chapeau, s'il a du vin à vendre.
    – Non, répond le vieux en secouant son crâne où un peu d'ouate blanche pousse par places.
    – Pas de bière, de café ? quelque chose, quoi…
    – Non, mes amis rien de rien. On n'est pas d'ici, on est des réfugiés, vous savez…
    – Alors, pisqu'il n'y a rien, mettons-les.
    On fait demi-tour. On a tout de même, pendant un moment, profité de la chaleur qui règne dans la pièce, et de la vue de la lampe… Déjà, Volpatte a gagné le seuil et son dos disparaît dans les ténèbres.
    Cependant, j'avise une vieille, affaissée au fond d'une chaise, dans l'autre coin de la cuisine et qui a l'air très occupée à un travail.
    Je pince le bras de Paradis :
    – Voilà la belle du logis. Va lui faire la cour !
    Paradis a un geste superbe d'indifférence. Il se fiche pas mal des femmes, depuis un an et demi que toutes celles qu'il voit ne sont pas pour lui. Du reste, quand bien même elles seraient pour lui, il s'en fiche aussi.
    – Jeune ou vieille, peuh ! me dit-il en commençant de bâiller.
    Par désœuvrement, par paresse de partir, il va à la bonne femme.
    – Bonsoir, grand-mère, marmonne-t-il en finissant de bâiller.
    – Bonsoir, mes enfants, chevrote la vieille.
    De près, on la voit en détail. Elle est ratatinée, pliée et repliée dans ses vieux os, et elle a la figure toute blanche d'un cadran d'horloge.
    Et que fait-elle ? Calée entre sa chaise et le bord de la table, elle s'escrime à nettoyer des chaussures. C'est une grosse besogne pour ses mains d'enfant : ses gestes ne sont pas sûrs et elle lance parfois un coup de brosse à côté ; de plus, les chaussures sont fort sales.
    Voyant qu'on la considère, elle nous chuchote qu'il lui faut bien cirer, ce soir même, les bottines de sa petite-fille, qui est modiste à la ville, et s'y rend dès le matin.
    Paradis s'est penché pour regarder mieux les bottines, et, tout à coup, il tend la main vers elles.
    – Laissez ça, grand-mère, j'vas vous les astiquer en trois temps, les p'rits croqu'nots de vot' jeune fille.
    La vieille fait signe que non, en secouant sa tête et ses épaules.
    Mais mon Paradis prend d'autorité les chaussures, tandis que la grand-mère, paralysée par sa faiblesse, se débat, et nous montre un fantôme de protestation.
    Il a saisi une bottine dans chaque main, il les tient doucement et les contemple un instant, et même on dirait qu'il les serre un peu.
    – Sont-elles petites ! fait-il avec une voix qui n'est pas la voix ordinaire qu'il a avec nous.
    Il s'est emparé aussi des brosses, et se met à frotter avec ardeur et avec précaution, et je vois que, les yeux fixés sur son travail, il sourit.
    Puis, quand la boue est enlevée des bottines, il prend du cirage à l'extrémité de la brosse double pointue, et il les caresse avec, très attentif.
    Les chaussures sont fines. Ce sont bien des chaussures de jeune fille coquette : une rangée de petits boutons y brille.
    – Il n'en manque pas un, de bouton, me souffle-t-il, et il y a de la fierté dans son accent.
    Il n'a plus sommeil, il ne bâille plus. Au contraire, ses lèvres sont serrées ; un rayon jeune et printanier éclaire sa physionomie et, lui qui allait s'endormir, on dirait qu'il vient de s'éveiller.
    Et il promène ses doigts, où le cirage a mis du beau noir, sur la tige qui, s'évasant largement du haut, décèle un tout petit peu la forme du bas de la jambe. Ses doigts, si adroits pour cirer, ont tout de même quelque chose de maladroit, tandis qu'il tourne et retourne les souliers, et qu'il leur sourit, et qu'il pense – au fond, au loin – et que la vieille lève les bras en l'air et me prend à témoin.
    – Voilà un soldat bien obligeant !
    C'est fini. Les bottines sont cirées, et fignolées. Elles miroitent. Plus rien à faire…
    Il les pose sur le bord de la table, en faisant bien attention, comme si c'étaient des reliques ;

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