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Le Feu (Journal d'une Escouade)

Le Feu (Journal d'une Escouade)

Titel: Le Feu (Journal d'une Escouade) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Barbusse
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coloniaux ont r'pris à la fourchette y a dix jours.
    » On a d'abord creusé le trou pour la sape. J'en mettais. Comme j'foutais plus d'ouvrage que les autres, j'm'ai vu en avant. Les autres élargissaient et consolidaient derrière. Mais voilà que j'trouve des fouillis d'poutres : j'avais tombé dans une ancienne tranchée comblée, videmment. À d'mi comblée : y avait du vide et d'la place. Au milieu des bouts de bois tout enchevêtrés et qu'j'ôtais un à un de d'vant moi, y avait quéqu' chose comme un grand sac de terre en hauteur, tout droit, avec quéqu' chose dessus qui pendait.
    » Voilà une poutrelle qui cède, et c'drôle de sac qui m'tombe et me pèse dessus. J'étais coincé et une odeur de macchabée qui m'entre dans la gorge… En haut de c'paquet, il y avait une tête et c'étaient les cheveux que j'avais vus qui pendaient.
    » Tu comprends, on n'y voyait pas beaucoup clair. Mais j'ai r'connu les cheveux qu'y en a pas d'autres comme ça sur la terre, puis le reste de figure, toute crevée et moisie, le cou en pâte, le tout mort depuis un mois, p't'être. C'était Eudoxie, j'te dis.
    » Oui, c'était c'te femme que j'ai jamais su approcher avant, tu sais – que j'voyais d'loin, sans pouvoir jamais y toucher, comme des diamants. Elle courait, tout partout, tu sais. Elle bagotait dans les lignes. Un jour, elle a du r'cevoir une balle, et rester là morte et perdue, jusqu'au hasard de c'te sape.
    » Tu saisis la position. J'étais obligé de la soutenir d'un bras comme je pouvais, et de travailler de l'autre. Elle essayait d'me tomber d'ssus de tout son poids. Mon vieux, elle voulait m'embrasser, je n'voulais pas, c'était affreux. Elle avait l'air de m'dire : « Tu voulais m'embrasser, eh bien, viens, viens donc ! » Elle avait sur le… elle avait là, attaché, un reste de bouquet de fleurs, qu'était pourri aussi, et, à mon nez, c'bouquet fouettait comme le cadavre d'une petite bête.
    » Il a fallu la prendre dans mes bras, et tous les deux, tourner doucement pour la faire tomber de l'autre côté. C'était si étroit, si pressé, qu'en tournant, à un moment, j'l'ai serrée contre ma poitrine sans le vouloir, de toute ma force, mon vieux, comme je l'aurais serrée autrefois, si elle avait voulu…
    » J'ai été une demi-heure à me nettoyer de son toucher et de c't'odeur qu'elle me soufflait malgré moi et malgré elle. Ah ! heureusement que j'suis esquinté comme une pauv' bête de somme. »
    Il se retourne sur le ventre, ferme ses poings et s'endort, la face enfoncée dans la terre, en son espèce de rêve d'amour et de pourriture.

CHAPITRE DIX-HUITIÈME
  Les allumettes
     
    Il est cinq heures du soir. On les voit tous les trois remuer au fond de la tranchée sombre.
    Ils sont épouvantables, noirs et sinistres, dans l'excavation terreuse, autour du foyer éteint. La pluie et la négligence ont fait mourir le feu, et les quatre cuisiniers regardent les cadavres des tisons ensevelis dans la cendre et ces restes du bûcher d'où la flamme s'est envolée, s'est enfuie, et qui refroidissent là.
    Volpatte chancelle jusqu'au groupe, et jette un bloc noir qu'il avait sur l'épaule.
    – J'l'ai arraché à une guitoune sans que ça se voie trop.
    – On a du bois, dit Blaire, mais faut l'allumer. Autrement, comment faire cuire c'te dure ?
    – C'est un beau morceau, gémît un homme noir. D'la hampe. Pour moi, v'là le meilleur morceau de bœuf : la hampe.
    – Du feu ! réclame Volpatte. Y a pus d'allumettes, y a pus rien.
    – I' faut du feu, grognonne Poupardin, dont l'incertitude roule et balance, dans le fond de cette espèce de cage obscure, la stature d'ours.
    – Y a pas à tourner, l'en faut, souligne Pépin qui émerge de sa guitoune, tel un ramoneur d'une cheminée. Il sort, apparaît, masse grise, comme de la nuit dans le soir.
    – T'en fais pas, j'en aurai, déclare Blaire d'un accent où se concentrent la fureur et la résolution.
    Il n'y a pas longtemps qu'il est cuisinier, et il tient à se montrer à la hauteur des circonstances difficiles dans l'exercice de ses fonctions.
    Il a parlé comme parlait Martin César, du temps qu'il existait. Il vit à l'imitation de la grande figure légendaire du cuisinier qui trouvait toujours du feu, comme d'autres, parmi les gradés, essayent d'imiter Napoléon.
    – J'irai, s'il le faut, déboiser jusqu'à l'os la camigeotte du poste de commandement. J'irai réquisitionner les allumettes du colon. J'irai…
    – Allons

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