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Le Feu (Journal d'une Escouade)

Le Feu (Journal d'une Escouade)

Titel: Le Feu (Journal d'une Escouade) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Barbusse
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puis, enfin, il en sépare ses mains.
    Il ne les quitte pas tout de suite des yeux, il les regarde, puis, baissant le nez, regarde ses brodequins, à lui. Je me souviens qu'en faisant ce rapprochement, ce gros garçon à destinée de héros, de bohémien et de moine, sourit encore une fois de tout son cœur.
    … La vieille s'agita dans le fond de sa chaise. Elle avait une idée.
    – J'vais lui dire ! Elle vous remerciera, monsieur. Eh ! Joséphine ! cria-t-elle en se retournant dans la direction d'une porte qui était là.
    Mais Paradis l'arrêta d'un large geste que je trouvai magnifique.
    – Non. C'est pas la peine, l'ancienne, laissez-la où elle est. On s'en va, nous autres. C'est pas la peine, allez !
    Il pensait si fort ce qu'il disait que son accent avait de l'autorité, et la vieille, obéissante, s'immobilisa et se tut.
    Nous nous en allâmes nous coucher dans le hangar, entre les bras de la charrue qui nous attendait.
    Et Paradis se remit alors à bâiller, mais, à la lueur de la chandelle, dans la crèche, un bon moment après, on voyait qu'il lui restait encore du sourire heureux sur la face.

CHAPITRE DIX-SEPTIÈME
  La sape
     
    Dans le fouillis d'une distribution de lettres dont les hommes reviennent, qui avec la joie d'une lettre, qui avec la demi-joie d'une carte postale, qui avec un nouveau fardeau, vite reconstitué, d'attente et d'espoir, un camarade, brandissant un papier, nous apprend une extraordinaire histoire :
    – Tu sais, l'père la Fouine, de Gauchin ?
    – C'vieux ticket qui cherchait un trésor ?
    – Eh bien, il l'a trouvé !
    – Non ! Tu charries…
    – Pisque j'te l'dis, espèce de gros morceau. Qu'est-ce que tu veux que j'te dise ? La messe ? J'la sais pas… La cour de sa piaule a été marmitée, et près du mur, une caisse pleine de monnaie en a été déterréé : il a reçu son trésor en plein sur le râble. Même que l'curé s'est aboulé en douce et parlait d'prendre c'miracle à leur compte.
    On reste bouche bée.
    – Un trésor… Ah ! vrai… Ah ! tout d'même, c'vieux manche à poils !
    Cette révélation inattendue nous plonge dans un abîme de réflexions.
    – Comme quoi on n'sait jamais !
    – S'est-on jamais assez foutu de c'vieux pétard, quand il en f'sait un saladier à propos de son trésor, et qu'i' nous t'nait la jambe et nous cassait l'bonnet avec ça !
    – On l'disait bien, là-bas, on n'sait jamais, tu t'rappelles ! On n'se doutait pas comme on avait raison, tu t'rappelles ?
    – Tout de même, y a des choses dont on est sûr, dit Farfadet, qui, depuis qu'on parlait de Gauchin, restait songeur, l'air absent, comme si une figure adorable lui souriait.
    – Mais ça, ajouta-t-il, je l'aurais pas cru non plus, moi ! … Ce que je vais le trouver fier, le vieux, quand je retournerai là-bas, après la guerre !
    – On demande un homme de bonne volonté pour aider les sapeurs à faire un travail, dit le grand adjudant.
    – Plus souvent ! grognent les hommes sans bouger.
    – C'est utile pour dégager les camarades, reprend l'adjudant.
    Alors, on cesse de grogner, quelques têtes se lèvent.
    – Présent ! dit Lamuse.
    – Harnache-toi, mon gros, et viens avec moi.
    Lamuse boucle son sac, roule sa couverture, assujettit ses musettes.
    Il est devenu, depuis le temps que sa crise d'amour malheureux s'est calmée, plus sombre qu'autrefois, et bien qu'il continue à engraisser par une sorte de fatalité, il s'absorbe, s'isole et ne parle plus guère.
    Le soir, quelque chose approche, dans la tranchée, montant et descendant selon les bosses et les trous du fond : une forme qui semble nager dans l'ombre, et tendre à certains moments les bras, comme un appel au secours.
    C'est Lamuse. Il nous rejoint. Il est plein de terreau et de boue. Frémissant, ruisselant de sueur, il a l'air d'avoir peur. Ses lèvres remuent et il marmotte :
    « Meuh… Meuh… » avant de pouvoir dire une parole qui ait une forme.
    – Eh ben quoi ? lui demande-t-on vainement.
    Il s'affale dans un coin, entre nous, et s'étend.
    On lui offre du vin. Il refuse d'un signe. Puis il se tourne vers moi, un geste de sa tête m'appelle. Quand je suis près de lui, il me souffle, tout bas, comme dans une église :
    – J'ai revu Eudoxie.
    Il cherche sa respiration ; sa poitrine siffle et il reprend, les prunelles fixées sur un cauchemar :
    – Elle était pourrie.
    – C'était l'endroit qu'on avait perdu, poursuit Lamuse, et que les

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