Le Feu (Journal d'une Escouade)
chercher du feu.
Poupardin marche en tête. Sa figure est ténébreuse, pareille à un fond de casserole où, peu â peu, le feu s'est imprimé en sale. Comme il fait cruellement froid, il est enveloppé de toutes parts. Il porte une pelisse moitié peau de bique et moitié peau de mouton : mi-brune, mi-blanchâtre, et cette double dépouille aux teintes géométriquement tranchées le fait ressembler à quelque étrange animal cabalistique.
Pépin a un bonnet de coton si noirci et si luisant de crasse que c'est le fameux bonnet de coton en soie noire. Volpatte, à l'intérieur de ses passe-montagnes et lainages, ressemble à un tronc d'arbre ambulant : une découpure en carré présente une face jaune, en haut de l'épaisse et massive écorce du bloc qu'il forme, fourchu de deux jambes.
– Allons du côté de la 10° Ils ont toujours ce qu'il faut. C'est sur la route des Pylônes, plus loin que le Boyau-Neuf.
Les quatre magots effrayants se mettent en marche, tel un nuage, dans la tranchée qui se déploie sinueusement devant eux comme une ruelle borgne, peu sûre, pas éclairée et pas pavée. Elle est d'ailleurs inhabitée en cet endroit, constituant un passage entre les secondes et les premières lignes.
Les cuisiniers partis à la recherche du feu rencontrent deux Marocains dans la poussière crépusculaire. L'un a un teint de botte noire, l'autre un teint de soulier jaune. Une lueur d'espoir brille au fond du cœur des cuisiniers.
– Allumettes, les gars ?
– Macache ! répond le noir, et son rire exhibe ses longues dents de faïence dans la maroquinerie havane de sa bouche.
Le jaune s'avance et demande à son tour :
– Tabac ? Un chouia de tabac ?
Et il tend sa manche réséda et son battoir de chêne frotté d'un brou de noix qui s'est déposé dans les plis de la paume – et terminé par des ongles violâtres.
Pépin grommelle, se fouille, et tire de sa poche une pincée de tabac mêlée de poussière qu'il donne au tirailleur.
Un peu plus loin, on rencontre une sentinelle qui dort à moitié au milieu du soir, dans des éboulis de terre. Ce soldat à moitié éveillé dit :
– C'est à droite, puis encore à droite, et alors tout droit. Ne vous gourez pas.
Ils marchent. Ils marchent longtemps.
– On doit être loin, dit Volpatte au bout d'une demi-heure de pas inutiles, et de solitude encaissée.
– Dis donc, ça descend bougrement, vous ne trouvez pas ? fait Blaire.
– T'en fais pas, vieux panneau, raille Pépin. Mais si t'as les grelots, tu peux nous laisser tomber.
On marche encore dans la nuit qui tombe… La tranchée toujours déserte – un terrible désert en longueur – a pris un aspect délabré et bizarre. Les parapets sont en ruines ; des éboulements font onduler le sol comme des montagnes russes.
Une appréhension vague s'empare des quatre énormes chasseurs de feu, à mesure qu'ils s'enfoncent avec la nuit dans cette sorte de chemin monstrueux.
Pépin, qui est à présent en tête, s'arrête, et tend la main pour qu'on s'arrête.
– Un bruit de pas… disent-ils à voix contenue, dans l'ombre.
Alors, au fond d'eux, ils ont peur. Ils ont eu tort de quitter tous leur abri depuis si longtemps. Ils sont en faute. Et on ne sait jamais.
– Entrons là, vite, dît Pépin, vite !
Il désigne une fente rectangulaire, à niveau du sol.
Tâtée avec la main, cette ombre rectangulaire s'avère pour être l'entrée d'un abri. Ils s'y introduisent l'un après l'autre : le dernier, impatient, pousse les autres, et ils se tapissent, à force, dans l'ombre massive du trou.
Un bruir de pas et de voix se précise et se rapproche.
Du bloc des quatre hommes qui bouche étroitement le terrier, sortent et se hasardent des mains tâtonnantes. Tout à coup, voici Pépin qui murmure d'une voix étouffée :
– Qu'est-ce que c'est que ça ?
– Quoi ? demandent les autres, serrés et calés contre lui.
– Des chargeurs ! dit à voix basse Pépin… Des chargeurs boches sur la planchette ! Nous sommes dans le boyau boche !
– Mettons-les.
Il y a un élan des trois hommes pour sortir.
– Attention, bon Dieu ! Bougez pas !… Les pas…
On entend marcher. C'est le pas assez rapide d'un homme seul.
Ils ne bougent pas, retiennent leur souffle. Leurs yeux braqués à ras de terre voient la nuit remuer, à droite, puis une ombre avec des jambes, se détache, approche, passe… Cette ombre se silhouette. Elle est surmontée d'un casque
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