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Le Feu (Journal d'une Escouade)

Le Feu (Journal d'une Escouade)

Titel: Le Feu (Journal d'une Escouade) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Barbusse
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commentent.
    – C'est comme si tu vois un feu d'artifice, disent-ils.
    Complétant l'illusion de grand décor d'opéra féerique et sinistre devant lequel rampe, grouille et clapote notre troupe basse, toute noire, voici une étoile rouge, une verte ; une gerbe rouge, beaucoup plus lente.
    On ne peut s'empêcher, dans nos rangs, de murmurer avec un confus accent d'admiration populaire, pendant que la moitié disponible des paires d'yeux regardent :
    – Oh ! une rouge !… Oh ! une verte !…
    Ce sont les Allemands qui font des signaux, et aussi les nôtres qui demandent de l'artillerie.
    La route tourne et remonte. Le jour s'est enfin décidé à poindre. On voit les choses en sale. Autour de la route couverte d'une couche de peinture gris perle avec des empâtements blancs, le monde réel fait tristement son apparition. On laisse derrière soi Souchez détruit dont les maisons ne sont que des plates-formes pilées de matériaux, et les arbres des espèces de ronces déchiquetées bossuant la terre. On s'enfonce, sur la gauche, dans un trou qui est là. C'est l'entrée du boyau.
    On laisse tomber le matériel dans une enceinte circulaire qui est faite pour ça, et, échauffés à la fois et glacés, les mains mouillées, crispées de crampes et écorchées, on s'installe dans le boyau, on attend.
    Enfouis dans nos trous jusqu'au menton, appuyés de la poitrine sur la terre dont l'énormité nous protège, on regarde se développer le drame éblouissant et profond. Le bombardement redouble. Sur la crête, les arbres lumineux sont devenus, dans les blêmeurs de l'aube, des espèces de parachutes vaporeux, des méduses pâles avec un point de feu : puis, plus précisément dessinés à mesure que le jour se diffuse, des panaches de plumes de fumée : des plumes d'autruche blanches et grises qui naissent soudain sur le sol brouillé et lugubre de la cote 119, à cinq ou six cents mètres devant nous, puis, lentement, s'évanouissent. C'est vraiment la colonne de feu et la colonne de nuée qui tourbillonnent ensemble et tonnent à la fois. À ce moment, on voit, sur le flanc de la colline, un groupe d'hommes qui courent se terrer. Ils s'effacent un à un, absorbés par les trous de fourmis semés là.
    On discerne mieux maintenant la forme des « arrivées » : à chaque coup, un flocon blanc soufré, souligné de noir, se forme, en l'air, à une soixantaine de mètres de hauteur, se dédouble, se pommelle, et, dans l'éclatement, l'oreille perçoit le sifflement du paquet de balles que le flocon jaune envoie furieusement sur le sol.
    Cela explose par rafales de six, en file : pan, pan, pan, pan, pan, pan. C'est du 77.
    On les méprise, les shrapnells de 77 – ce qui n'empêche pas que Blesbois ait justement été tué, il y a trois jours, par l'un d'eux. Ils éclatent presque toujours trop haut.
    Barque nous l'explique, bien que nous le sachions :
    – Le pot de chambre te protège suffisamment l'caberlot contre les billes de plomb. Alors, ça t'démolit l'épaule et ça t'fout par terre, mais ça t'bousille pas. Naturellement, faut t'coqter tout d'même. Avise-toi pas de l'ver la trompe en l'air pendant l'moment que dure la chose, ou de tendre la main pour voir s'il pleut. Tandis que le 75 à nous !…
    – Y a pas qu'des 77, interrompit Mesnil André. Y en a de tout poil. Allume-moi ça…
    Des sifflements aigus, tremblotants ou grinçants, des cinglements. Et sur les pentes dont l'immensité transparaît là-bas, et où les nôtres sont au fond des abris, des nuages de toutes les formes s'amoncellent. Aux colossales plumes incendiées et nébuleuses, se mêlent des houppes immenses de vapeur, des aigrettes qui jettent des filaments droits, des plumeaux de fumée s'élargissant en retombant – le tout blanc ou gris-vert, charbonné ou cuivré, à reflets dorés, ou comme taché d'encre.
    Les deux dernières explosions étaient toutes proches ; elles forment, au-dessus du terrain battu, des énormes boules de poussière noires et fauves qui, lorsqu'elles se déplient et s'en vont sans hâte, au gré du vent, leur besogne faite, ont des silhouettes de dragons fabuleux.
    Notre file de faces à ras du sol se tourne de ce côté et les suit des yeux, du fond de la fosse, au milieu de ce pays peuplé d'apparitions lumineuses et féroces, de ces campagnes écrasées par le ciel.
    – Ça, c'est des 150 fusants.
    – C'est même des 210, bec de veau.
    – Y a des percutants aussi. Les vaches ! Vise

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