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Le Feu (Journal d'une Escouade)

Le Feu (Journal d'une Escouade)

Titel: Le Feu (Journal d'une Escouade) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Barbusse
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recouvert d'une housse sous laquelle on devine la pointe. Aucun autre bruit que celui de la marche de ce passant.
    À peine l'Allemand est-il passé que les quatre cuisiniers, d'un seul mouvement, sans s'être concertés, s'élancent, se bousculent, courent comme des fous, et se jettent sur lui.
    – Kamerad, messieurs ! dit-il.
    Mais on voit briller et disparaître la lame d'un couteau. L'homme s'affaisse comme s'il s'enfonçait par terre. Pépin saisit le casque tandis qu'il tombe et le garde dans sa main.
    – Foutons le camp, gronde la voix de Poupardin.
    – Faut l'fouiller, quoi !
    On le soulève, on le tourne, on relève ce corps mou, humide et tiède. Tout à coup, il tousse.
    – Il n'est pas mort.
    – Si, il est mort. C'est l'air.
    On le secoue par les poches. On entend les souffles précipités des quatre hommes noirs penchés sur leur besogne.
    – À moi l'casque, dit Pépin. C'est moi qui l'ai saigné. J'veux l'casque.
    On arrache au corps son portefeuille avec des papiers encore chauds, ses jumelles, son porte-monnaie et ses guêtres.
    – Des allumettes ! s'écrie Blaire en secouant une boîte. Il en a !
    – Ah ! la rosse ! crie Volpatte, tout bas.
    – Maintenant, donnons-nous de l'air en vitesse.
    Ils tassent le cadavre dans un coin, et s'élancent au galop, en proie à une espèce de panique, sans se préoccuper du vacarme que fait leur course désordonnée.
    – C'est par ici !… Par ici !… Eh ! les gars, faites vinaigre !
    On se précipite, sans parler, à travers le dédale du boyau extraordinairement vide, et qui n'en finit plus.
    – J'ai pus d'vent, dit Blaire, j'suis foutu…
    Il titube et s'arrête.
    – Allons ! mets-en un coup, vieux machin, grince Pépin d'une voix rauque et essoufflée.
    Il le prend par la manche et le tire en avant, comme un limonier rétif.
    – Nous y v'là ! dit tout d'un coup Poupardin.
    – Oui, je r'connais c't'arbre.
    – C'est la route des Pylônes !
    – Ah ! gémit Blaire que sa respiration secoue comme un moteur. Et il se jette en avant d'un dernier élan, et vient s'asseoir par terre.
    – Halte-là ! crie une sentinelle.
    – Ben quoi ! balbutie ensuite cet homme en voyant les quatre poilus. D'où c'est-i' que vous venez, par là ?
    Ils rient, sautent comme des pantins, ruisselants de sueur et pleins de sang, ce qui dans le soir les fait paraître encore plus noirs ; le casque de l'officier allemand brille dans les mains de Pépin.
    – Ah ! merde alors ! marmonne la sentinelle, béante. Mais quoi ?…
    Une réaction d'exubérance les agite et les affole.
    Tous parlent à la fois. On reconstitue confusément, à la hâte, le drame dont ils s'éveillent sans bien savoir encore. En quittant la sentinelle à moitié endormie, ils se sont trompés et ont pris le Boyau International, dont une partie est à nous et une partie aux Allemands. Entre le tronçon français et le tronçon allemand, pas de barricade, de séparation. Il y a seulement une sorte de zone neutre aux deux extrémités de laquelle veillent perpétuellement deux guetteurs. Sans doute le guetteur allemand n'était pas à son poste, ou bien il s'est caché en voyant quatre ombres, ou bien s'est replié et n'a pas eu le temps de ramener du renfort. Ou bien encore l'officier allemand s'est fourvoyé trop en avant dans la zone neutre… Enfin, bref, on comprend ce qui s'est passé sans bien comprendre.
    – Le plus rigolo, dit Pépin, c'est qu'on savait tout ça et qu'on n'a pas songé à s'en méfier quand on est parti.
    – On cherchait du feu ! dit Volpatte.
    – Et on en a ! crie Pépin. T'as pas perdu les flambantes, vieux manche ?
    – Y a pas d'pet ! dit Blaire. Les allumettes boches c'est d'meilleure qualité qu'les nôtres. Et pis c'est tout c'qu'on a pour allumer ! Perd' ma boîte ! Faudrait un qui vienne m'en amputer !
    – On est en r'tard. L'eau d'la croûte est en train d'g'ler. Mettons-en un coup jusque-là. Après, on ira raconter c'te bonne blague qu'on a faite aux Boches dans l'égout où sont les copains.

CHAPITRE DIX-NEUVIÈME
  Bombardement
     
    En rase campagne, dans l'immensité de la brume.
    Il fait bleu foncé. Un peu de neige tombe à la fin de cette nuit ; elle poudre les épaules et les plis des manches. Nous marchons par quatre, encapuchonnés. Nous avons l'air, dans la pénombre opaque, de vagues populations décimées qui émigrent d'un pays du Nord vers un autre pays du Nord.
    On a suivi une route, traversé

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