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Le Feu (Journal d'une Escouade)

Le Feu (Journal d'une Escouade)

Titel: Le Feu (Journal d'une Escouade) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Barbusse
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un peu ç'ui-là !
    On a vu un obus éclater sur le sol et soulever, dans un éventail de nuée sombre, de la terre et des débris. On dirait, à travers la glèbe fendue, le crachement effroyable d'un volcan qui s'amassait dans les entrailles du monde.
    Un bruit diabolique nous entoure. On a l'impression inouïe d'un accroissement continu, d'une multiplication incessante de la fureur universelle. Une tempête de battements rauques et sourds, de clameurs furibondes, de cris perçants de bêtes s'acharne sur la terre toute couverte de loques de fumée, et où nous sommes enterrés jusqu'au cou, et que le vent des obus semble pousser et faire tanguer.
    – Dis donc, braille Barque, je m'suis laissé dire qu'i's n'ont plus de munitions !
    – Oh là là ! on la connaît, celle-là ! Ça et les aut' bobards qu'les journaux nous balancent par s'ringuées.
    Un tic-tac mat s'impose au milieu de cette mêlée de bruits. Ce son de crécelle lente est de tous les bruits de la guerre celui qui vous point le plus le cœur.
    – Le moulin à café ! Un des nôtres, écoute voir : les coups sont réguliers tandis que ceux boches n'ont pas le même temps entre les coups ; ils font : tac… tac-tac-tac… tac-tac… tac…
    – Tu t'goures, fil à trous ! C'est pas la machine à découdre : c'est une motocyclette qui radine sur le chemin de l'Abri 31, tout là-bas.
    – Moi, j'crois plutôt que ce soit, tout là-haut, un client qui s'paye le coup d'œil sur son manche à balai, ricane Pépin qui, levant le nez, inspecte l'espace en quête d'un aéro.
    Une discussion s'établit. On ne peut savoir ! C'est comme ça. Au milieu de tous ces fracas divers, on a beau être habitué, on se perd. Il est bien advenu à toute une section, l'autre jour, dans le bois, de prendre, un instant, pour le bruissement rauque d'une arrivée les premiers accents de la voix d'un mulet qui, non loin, se mettait à pousser son braiment-hennissement.
    – Dis donc, y a quelque chose en fait d'saucisses en'air, c'matin, remarque Lamuse.
    Les yeux levés, on les compte.
    – Y a huit saucisses chez nous et huit chez les Boches, dit Cocon, qui avait déjà compté.
    En effet, au-dessus de l'horizon, à intervalles réguliers, en face du groupe des ballons captifs ennemis, plus petits dans la distance, planent les huit longs yeux légers et sensibles de l'armée, reliés aux centres de commandement par des filaments vivants.
    – I's nous voient comme on les voit. Comment veux-tu leur z'y échapper à ces espèces de grands bons dieux-là ?
    – Voilà not' réponse !
    En effet, tout d'un coup, derrière notre dos, éclate le fracas net, strident, assourdissant du 75. Ça crépite sans arrêt.
    Ce tonnerre nous soulève, nous enivre. Nous crions en même temps que les pièces et nous nous regardons sans nous entendre – sauf la voix extraordinairement perçante de cette « grande gueule » de Barque – au milieu de ce roulement de tambour fantastique dont chaque coup est un coup de canon.
    Puis nous tournons les yeux en avant, le cou tendu, et nous voyons, en haut de la colline, la silhouette supérieure d'une rangée noire d'arbres d'enfer dont les racines terribles s'implantent dans le versant invisible où se tapit l'ennemi,
    – Qu'est-ce que c'est qu'ça ?
    Pendant que la batterie de 75 qui est à cent mètres derrière nous continue ses glapissements – coups nets d'un marteau démesuré sur une enclume, suivis d'un cri, vertigineux de force et de furie – un gargouillement prodigieux domine le concert. Ça vient aussi de chez nous.
    – Il est pépère, celui-là !
    L'obus fend l'air à mille mètres peut-être au-dessus de nos têtes. Son bruit couvre tout comme d'un dôme sonore. Son souffle est lent ; on sent un projectile plus bedonnant, plus énorme que les autres. On l'entend passer, descendre en avant avec une vibration pesante et grandissante de métro entrant en gare ; ensuite son lourd sifflement s'éloigne. On observe, en face, la colline. Au bout de quelques secondes, elle se couvre d'un nuage couleur saumon que le vent développe sur toute une moitié de l'horizon.
    – C'est un 220 de la batterie du point gamma.
    – On les voit, ces t'obus, affirme Volpatte, quand c'est qu'ils sortent du canon. Et si t'es bien dans la direction du tir, tu les vois d'l'œil, même loin de la pièce.
    Un autre succède.
    – Là ! Tiens ! Tiens ! T'l'as vu, c'ti-là ? T'as pas r'gardé assez vite, la commande est

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