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Le Feu (Journal d'une Escouade)

Le Feu (Journal d'une Escouade)

Titel: Le Feu (Journal d'une Escouade) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Barbusse
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comme des alouettes, en se trémoussant et froufroutant, puis s'arrêtent, hésitent et retombent droit en annonçant aux dernières secondes leur chute par un « cri d'enfant » qu'on reconnaît bien. D'ici, les gens de la crête ont l'air d'invisibles joueurs alignés qui jouent à la balle.
    – Dans l'Argonne, dît Lamuse, mon frère m'a écrit qu'i's r'çoivent des tourterelles, qu'i's disent. C'est des grandes machines lourdes, lancées de près. Ça arrive, en roucoulant, de vrai, qu'i m'dit, et quand ça pète, tu parles d'un barouf, qu'i' m'dit.
    – Y a pas pire que l'crapouillot, qui a l'air de courir après vous et de vous sauter dessus, et qui éclate dans la tranchée même, rasoche du talus.
    – Tiens, tiens, t'as entendu ?
    Un sifflement arrivait vers nous, puis brusquement il s'est éteint. L'engin n'a pas éclaté.
    – C'est un obus qui dit merde, constate Paradis.
    Et on prête l'oreille pour avoir la satisfaction d'en entendre – ou de ne pas en entendre – d'autres.
    Lamuse dit :
    – Tous les champs, les routes, les villages, ici, c'est couvert d'obus non éclatés, de tous calibres ; des nôtres aussi, faut l'dire. Il doit y en avoir plein la terre, qu'on n'voit pas. Je m'demande comment on fera, plus tard, quand viendra le moment qu'on dira : « C'est pas tout ça, mais faut s'remettre à labourer. »
    Et toujours, dans sa monotonie forcenée, la rafale de feu et de fer continue : les shrapnells avec leur détonation sifflante, bondée d'une âme métallique et furibonde, et les gros percutants, avec leur tonnerre de locomotive lancée, qui se fracasse subitement contre un mur, et de chargements de rails ou de charpentes d'acier qui dégringolent une pente. L'atmosphère finit par être opaque et encombrée, traversée de souffles pesants ; et, tout autour, le massacre de la terre continue, de plus en plus profond, de plus en plus complet.
    Et même d'autres canons se mettent de la partie. Ce sont des nôtres. Ils ont une détonation semblable à celle du 75, mais plus forte, et avec un écho prolongé et retentissant comme de la foudre qui se répercute en montagne.
    – C'est les 120 longs. Ils sont sur la lisière du bois, à un kilomètre. Des baths canons, mon vieux, qui ressemblent à des lévriers gris. C'est mince et fin du bec, ces pièces-là. T'as envie de leur dire « madame ». C'est pas comme le 220 qui n'est qu'une gueule, un seau à charbon, qui crache son obus de bas en haut. Ça fait du boulot, mais ça ressemble, dans les convois d'artillerie, à des culs-de-jatte sur leur petite voiture.
    La conversation languit. On bâille, par-ci, par-là.
    La grandeur et la largeur de ce déchaînement d'artillerie lassent l'esprit. Les voix s'y débattent, noyées.
    – J'en ai jamais vu comme ça, d'bombardement, crie Barque.
    – On dit toujours ça, remarque Paradis.
    – Tout d'même, braille Volpatte. On a parlé d'attaque ces jours-ci. J'te dis, moi, qu'c'est l'commencement de quelque chose.
    – Ah ! font simplement les autres.
    Volpatte manifeste l'intention de « piquer un roupillon » et il s'installe par terre, adossé à une paroi, les semelles butées contre l'autre paroi.
    On s'entretient de choses diverses. Biquet raconte l'histoire d'un rat qu'il a vu.
    – Il était pépère et comaco, tu sais… J'avais ôté mes croquenots, et c'rat, i' parlait-i' pas de mettre tout l'bord de la tige en dentelles ! Faut dire que j'les avais graissés.
    Volpatte, qui s'immobilisait, se remue et dit :
    – Vous m'empêchez de dormir, les jaspineurs !
    – Tu vas pas m'faire croire, vieille doublure, qu'tu s'rais fichu d'dormir et d'faire schloff avec un bruit et un papafard pareils comme celui qu'y a tout partout là ici, dit Marthereau.
    – Crôô, répondit Volpatte, qui ronflait.
    – Rassemblement. Marche !
    On change de place. Où nous mène-t-on ? On n'en sait rien. Tout au plus sait-on qu'on est en réserve et qu'on nous fait circuler pour consolider successivement certains points ou pour dégager les boyaux – où le règlement des passages de troupes est aussi complexe, si l'on veut éviter les embouteillages et les collisions, que l'organisation du passage des trains dans les gares actives. Il est impossible de démêler le sens de l'immense manœuvre où notre régiment roule comme un petit rouage, ni ce qui se dessine dans l'énorme ensemble du secteur. Mais, perdus dans le lacis de bas-fonds où l'on va et vient interminablement,

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