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Le Feu (Journal d'une Escouade)

Le Feu (Journal d'une Escouade)

Titel: Le Feu (Journal d'une Escouade) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Barbusse
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loupée. Faut s'manier la fraise. Tiens, un autre ! Tu l'as vu ?
    – J'l'ai pas vu.
    – Paquet ! Faut-i' qu't'en tiennes une couche ! Ton père, il était peintre ! Tiens, vite, ç'ui-là, là ! Tu l'vois bien, guignol, raclure ?
    – J'l'ai vu. C'est tout ça ?
    Quelques-uns ont aperçu une petite masse noire, fine et pointue comme un merle aux ailes repliées qui, du zénith, pique le bec en avant, en décrivant une courbe.
    – Ça pèse cent dix-huit kilos, ça, ma vieille punaise, dit fièrement Volpatte, et, quand ça tombe sur une guitoune, ça tue tout le monde qu'y a dedans. Ceux qui ne sont pas arrachés par les éclats sont assommés par le vent du machin, ou clabottent asphyxiés sans avoir le temps de souffler ouf.
    – On voit aussi très bien l'obus de 270 – tu parles d'un bout de fer – quand le mortier le fait sauter en l'air : allez, partez !
    – Et aussi le 155 Rimailho, mais celui-là, on le perd de vue parce qu'il file droit et trop loin : tant plus tu le r'gardes, tant plus i' s'fond devant tes lotos.
    Dans une odeur de soufre, de poudre noire, d'étoffes brûlées, de terre calcinée, qui rôde en nappes sur la campagne, toute la ménagerie donne, déchaînée. Meuglements, rugissements, grondements farouches et étranges, miaulements de chat qui vous déchirent férocement les oreilles et vous touillent le ventre, ou bien le long hululement pénétrant qu'exhale la sirène d'un bateau en détresse sur la mer. Parfois même des espèces d'exclamations se croisent dans les airs, auxquelles des changements bizarres de ton communiquent comme un accent humain. La campagne, par places, se lève et retombe ; elle figure devant nous, d'un bout de l'horizon à l'autre, une extraordinaire tempête de choses.
    Et les très grosses pièces, au loin, au loin, propagent des grondements très effacés et étouffés, mais dont on sent la force au déplacement de l'air qu'ils vous tapent dans l'oreille.
    … Voici fuser et se balancer sur la zone bombardée un lourd paquet d'ouate verte qui se délaie en tous sens. Cette touche de couleur nettement disparate dans le tableau attire l'attention, et toutes nos faces de prisonniers encagés se tournent vers le hideux éclatement.
    – C'est des gaz asphyxiants, probable. Préparons nos sacs à figure !
    – Les cochons !
    – Ça, c'est vraiment des moyens déloyaux, dit Farfadet.
    – Des quoi ? dit Barque, goguenard.
    – Ben oui, des moyens pas propres, quoi, des gaz…
    – Tu m'fais marrer, riposte Barque, avec tes moyens déloyaux et tes moyens loyaux… Quand on a vu des hommes défoncés, sciés en deux, ou séparés du haut en bas, fendus en gerbes, par l'obus ordinaire, des ventres sortis jusqu'au fond et éparpillés comme à la fourche, des crânes rentrés tout entiers dans l'poumon comme a coup de masse, ou, à la place de la tête, un p'tit cou d'où une confiture de groseille de cervelle tombe, tout autour, sur la poitrine et le dos. Quand on l'a vu et qu'on vient dire : « Ça, c'est des moyens propres, parlez-moi d'ça ! »
    – N'empêche que l'obus, c'est permis, c'est accepté…
    – Ah là là ! Veux-tu que j'te dise ? Eh bien, tu m'f'ras jamais tant pleurer que tu m'fais rire !
    Et il tourne le dos.
    – Hé ! gare, les enfants !
    On tend l'oreille : l'un de nous s'est jeté à plat ventre ; d'autres regardent instinctivement, en sourcillant, du côté de l'abri qu'ils n'ont pas le temps d'atteindre ; pendant ces deux secondes, chacun plie le cou. C'est un crissement de cisailles gigantesques qui approche de nous, qui approche, et qui, enfin, aboutit à un tonitruant fracas de déballage de tôles.
    Il n'est pas tombé loin de nous, celui-là ; à deux cents mètres peut-être. Nous nous baissons dans le fond de la tranchée et restons accroupis jusqu'à ce que l'endroit où nous sommes soit cinglé par l'ondée des petits éclats.
    – Faudrait pas encore recevoir ça dans l'vasistas, même à cette distance, dit Paradis, en extrayant de la paroi de terre de la tranchée un fragment qui vient de s'y ficher et qui semble un petit morceau de coke hérissé d'arêtes coupantes et de pointes, et il le fait sauter dans sa main pour ne pas se brûler.
    Il courbe brusquement la tête ; nous aussi.
    Bsss, bss…
    – La fusée !… Elle est passée.
    La fusée du shrapnell monte, puis retombe verticalement ; celle du percutant, après l'explosion, se détache de l'ensemble disloqué et reste

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