Le Fils de Pardaillan
plaise, ma mie, que je vous empêche de participer à une œuvre aussi édifiante et qui ne peut, en effet, qu’attirer sur nous les bénédictions du ciel. M. de Sully vous remettra donc la somme que vous demandez. Seulement, j’y mets une petite condition.
– Laquelle, Sire ?
– Cette œuvre me paraît si vénérable que je veux faire plus et mieux que donner mon obole. Je me réserve de faire surveiller et, au besoin, diriger les travaux qui vont être entrepris. Dites-le, je vous prie, de ma part, à M me de Montmartre.
Marie de Médicis ne pouvait soupçonner qu’Henri IV avait une arrière-pensée. Elle le crut de bonne foi. Trop heureuse d’en être quitte à si bon compte, elle se hâta de dire :
– Le roi est le maître ! Partout et toujours.
Elle sortit et courut porter la bonne nouvelle à Léonora et à Concini qui la poussaient.
Ni Concini ni sa femme ne se doutèrent qu’ils allaient se trouver aux prises avec le roi et Acquaviva et que ni l’un ni l’autre de ces redoutables compétiteurs ne les laisserait s’approprier le trésor convoité, le trésor qu’ils croyaient déjà tenir.
q
Chapitre 3
C e même jour, à l’heure du dîner, Jehan le Brave avait emmené Carcagne, Escargasse et Gringaille au cabaret. Il voulait leur offrir un dîner qui, dans son esprit, était un dîner d’adieu.
Malgré les manières rudes qu’il affectait à leur égard, l’affection qu’il leur portait était réelle. Ce n’était pas sans un secret déchirement qu’il s’était résigné à se séparer d’eux.
Les trois ignoraient l’intention de leur chef. En conséquence, ils se livrèrent à la bombance et à la joie, sans contrainte et sans arrière-pensée. Jehan, pour ne pas les attrister, s’efforça de se montrer gai et insouciant.
Lorsque, le repas terminé, ils se trouvèrent dans la rue, les trois braves étaient fortement éméchés. Jehan, qui s’était montré plus sobre, avait tout son sang-froid. Avec une émotion qu’il ne parvint pas à maîtriser, il leur dit alors :
– Mes braves compagnons, nous ne pouvons plus vivre ensemble de notre vie d’autrefois. Il faut nous séparer. Tirez à droite, moi je vais à gauche… et que Dieu vous garde !
Et il voulut s’éloigner. Mais les trois, comme s’il n’avait rien dit, demandèrent :
– Les ordres, chef ?
Ils n’avaient pas compris. Cependant leur gaieté était tombée. Ils pressentaient que quelque chose de grave et de douloureux allait se décider. Jehan ne voulut pas les quitter sur un malentendu. Il dit avec douceur :
– Je n’ai plus d’ordres à vous donner. Je ne suis plus votre chef. Comprenez-vous ?… C’est fini entre nous. Il faut nous dire adieu et pour toujours.
Ils se regardèrent effarés. Ils étaient livides. Leur commencement d’ivresse était tombé d’un coup. Et brusquement, ils éclatèrent en accents douloureux :
– Alors, vous nous chassez ?
– Qu’est-ce que nous avons fait ?
– Que voulez-vous que nous fassions sans vous ?
– – Je ne vous chasse pas, reprit Jehan avec la même douceur. Je n’ai rien à vous reprocher… Mais il faut nous séparer quand même.
Maintenant, ils comprenaient. Après la douleur, ce fut l’indignation et, pour la première fois, la révolte :
– Pourquoi nous séparer ? Cornes de Dieu ! rugit Gringaille. Quand on condamne les gens, on leur dit au moins pourquoi !
– C’est vrai ! appuyèrent les deux autres, pourquoi ?
– Parce qu’avec le nouveau genre d’existence que j’ai résolu d’adopter, si vous restiez avec moi, vous risqueriez fort de crever de faim.
Ils se regardèrent, ébahis. De nouveau, ils ne comprenaient plus. L’un après l’autre, ils demandèrent :
– Pourquoi crèverions-nous de faim ?
– N’avons-nous pas toujours ceci ?
Ils frappaient sur la poignée de la rapière.
– Et ne trouverons-nous pas toujours de ceux-là ?
Il montrait un bourgeois et faisait le geste de dévaliser.
– Justement, dit vivement Jehan, c’est ceci que je ne veux plus faire. Ceci s’appelle : voler.
– Voler !…
L’exclamation jaillit des trois bouches en même temps. Maintenant l’inquiétude se lisait sur leurs visages et ils avaient des airs de dire : « Il est malade ! »
Et Jehan qui les comprit, s’écria avec violence :
– Oui, vous ne comprenez pas !… Comme vous, j’ai longtemps cru qu’il était juste et légitime de prélever sur le
Weitere Kostenlose Bücher