Le Fils de Pardaillan
votre costume, ainsi modifié, ne ressemble plus au mien.
Elle obéit docilement, rapidement, en lui souriant doucement.
– Montez, dit-il, quand il la vit prête, et quand vous serez libre, partez sans vous retourner, sans hâte inutile et surtout sans vous occuper de moi.
Elle s’arrêta, hésitante et inquiète.
– Et vous ? fit-elle d’une voix qui tremblait.
– Ne vous inquiétez pas de moi, reprit-il avec la même douceur. Il faut m’obéir sans discuter, c’est le seul moyen que j’aie de vous sauver !
Elle comprit qu’en effet l’obéissance passive s’imposait. D’ailleurs, elle avait une si grande confiance en sa force et sa bravoure ! Elle monta. Et, pendant qu’elle montait, elle l’entendit qui disait à Perrette d’une voix étranglée par l’angoisse :
– Ma petite sœur, je te la confie… Conduis-la chez toi… nulle part ailleurs que chez toi… et ne la quitte pas une seconde.
Et Perrette, de sa voix grave et sérieuse :
– Soyez sans crainte, monsieur, elle n’ira pas ailleurs que chez moi et je veillerai sur elle.
Perrette monta à son tour.
– Madame, dit Jehan à la religieuse, je vais monter là-haut… je vous lâche… Je vous avertis que j’ai un pistolet. Au moindre cri, je vous abats.
Il n’avait pas de pistolet du tout. Mais la sœur le crut. C’était tout ce qu’il voulait. En deux bonds, il fut sur la crête du mur. Il passa l’échelle de l’autre côté. Les deux femmes descendirent. Pendant ce temps, en un tour de main, il se défaisait de son accoutrement féminin et le jetait dans le panier.
Le mur, à l’endroit où ils se trouvaient, donnait sur la petite place où se dressait le gibet. Le chemin qui longeait le mur, en descendant, passait donc devant l’entrée de l’abbaye qui se trouvait plus bas. Jehan désigna à Perrette le chemin à l’autre extrémité de la place, celui qui passait à côté du gibet, et lui dit de passer par là, en recommandant une dernière fois de ne pas s’occuper de lui.
– Madame, dit poliment Jehan à la sœur, je vous prie de me pardonner la violence que j’ai été contraint de vous faire. Je ne pouvais agir autrement.
Et il se laissa glisser de l’autre côté. Au même instant, il entendit des cris perçants : c’était la sœur qui retrouvait sa voix. Il ne s’en occupa plus.
Perrette avait ramassé le panier et passé son bras sous celui de Bertille. Jehan les vit qui traversaient, d’un pas un peu allongé, la petite place. Il jeta un coup d’œil au bas du chemin et vit une troupe qui stationnait devant la porte de l’abbaye. Il eut un sourire :
– Je crois, murmura-t-il, que je sais enfin pourquoi Saêtta me poussait au vol avec tant d’acharnement. Il voulait me faire prendre la main dans le sac.
Il avait autre chose à faire, pour l’instant, que de songer à Saêtta. Il ramena ses yeux sur les deux jeunes filles. Il hésitait : les suivrait-il ou tirerait-il au large du côté opposé ? Pourquoi cette hésitation ? Tenait-il tant à se mettre à l’abri ? Du tout. Seulement ; il pensait qu’il serait attaqué… mais il n’en était pas sûr. Escorter les jeunes filles et les défendre, pardieu ! c’était tout naturel… Mais les conduire au milieu de la bagarre, ceci eût été stupide. C’est à lui qu’on en voulait, non à elles. Plus il s’éloignerait d’elles, plus il écarterait le danger. Comme il était là hésitant, il vit un homme se détacher de derrière le gibet. Il le reconnut à l’instant :
– Monsieur de Pardaillan, s’écria-t-il, c’est le ciel qui l’envoie !… Maintenant elle est sauvée !
Bertille aussi avait reconnu Pardaillan. Elle courut à lui, en un mouvement spontané, tout impulsif, et lui dit en quelques mots quelle était sa situation. Pardaillan s’empressa de la rassurer et se mit à ses ordres. Chose curieuse, il ne parut nullement s’apitoyer sur son sort. On eût dit, au contraire, qu’il était enchanté. Il paraissait tout réjoui. La vérité est qu’il se disait :
– Ah ! Ah ! voilà donc ce qu’il allait faire à l’abbaye ?… Délivrer sa fiancée et non chercher à s’emparer du trésor, comme je l’ai stupidement cru !… Morbleu ! je suis bien aise qu’il en soit ainsi !…
A ce moment, au bas de la montagne, une troupe s’engagea dans le chemin par où il se disposait à descendre. Pardaillan la vit. Il se tourna vers Jehan et, par gestes expressifs, que celui-ci
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