Le Fils de Pardaillan
Saêtta qui approchait de la chapelle. Il murmura :
– Voilà donc le Saêtta ?… C’est M. Guido Lupini !… Morbleu ! j’en avais l’intuition !… J’aurais dû suivre ma première pensée qui était de l’aller trouver et l’obliger à s’expliquer un peu.
Il demeura un moment plongé dans une profonde rêverie, les yeux fixés sur la chapelle, sans la voir. Il pensait :
– Aurai-je vraiment cette incroyable malchance ? Quoi ! je retrouverai mon fils pour apprendre, en même temps, que c’est un misérable voleur ! Est-ce possible ? Allons donc ! Pourtant, par Pilate ! je l’ai entendu de mes propres oreilles, il y a un instant ! Et je n’aurais jamais cru éprouver pareil déchirement.
Il réfléchit un instant, et se secouant :
– Bah ! ne nous hâtons pas de le juger. Le jeune homme est intelligent. Le peu que je lui ai dit sur celui qu’il appelle son père a éveillé sa méfiance. Je l’ai bien vu ! Qui sait si ce qu’il a dit là n’est pas pour amener l’autre à se démasquer ? Enfin, attendons, nous verrons bien.
Il regarda Saêtta qui, à ce moment, contournait la palissade de la chapelle et il grommela :
– Je me doute de ce que fait là-haut ce chenapan ! Je le retrouverai. Voyons un peu le moine. Je suis curieux de voir si ce que je pense va se produire.
Il s’accota de son mieux, à moitié étendu sur l’herbe maigre qui poussait là et se mit à épier Parfait Goulard qui descendait péniblement en – braillant à gorge déployée. Parfait Goulard, comme Pardaillan, n’avait pas perdu un mot du rapide entretien entre Jehan et Saêtta. Lorsqu’il sortit du fossé où il s’était tapi, il se dit :
– Saêtta est allé le dénoncer aux hommes de M. de Sully… C’est évident ! Mais ce vieux fou rêve de vengeances compliquées… c’est son affaire. Ce qui me regarde, moi, c’est que le fils de Fausta devient très gênant… En conséquence, il faut qu’il disparaisse… l’occasion est bonne… Quand il sortira du couvent, il sera cueilli sitôt la porte franchie. Je vais faire aviser Concini, il ne le manquera pas… Surtout s’il suit à la lettre mes instructions.
C’est après avoir pris cette décision que Parfait Goulard s’était mis à chanter. Il s’engagea sur la route qui, passant devant la maison de Perrette et le château des Porcherons, conduisait à la ville, par la porte Saint-Honoré.
Il n’avait pas fait cinquante pas qu’un moine parut sur la route, sans qu’on pût dire d’où il était sorti. Pardaillan le vit tout de suite et il murmura :
– J’en étais sûr !… Regardons.
Parfait Goulard avait aperçu le moine. En titubant, il tomba sur lui, s’accrocha désespérément à son froc, se pendit à lui, retrouva son équilibre et voulut l’embrasser. Il y eut une lutte épique entre lui et le moine. Celui-ci se secoua, rua, se déroba, et finalement l’envoya, d’une forte bourrade, rouler sur la route, où il demeura les quatre fers en l’air, beuglant plus éperdument que jamais.
Le moine partit à fond de train, comme s’il avait eu le diable à ses trousses, en proférant des imprécations et des anathèmes contre l’ivrogne, opprobre de l’Eglise. Parfait Goulard se releva péniblement et s’en alla, en zigzaguant, vers la ville. Pardaillan avait assisté à toute la scène de loin. Il traduisit son impression par ces deux mots :
– Merveilleux comédiens !…
Il se releva alors et remonta, en flânant, vers la chapelle.
Quant au moine, cinq minutes plus tard il avait eu un entretien avec Roquetaille, un des lieutenants de Concini. A la suite de cet entretien, un homme avait sauté à cheval et était parti ventre à terre dans la direction de la ville.
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Chapitre 12
J ehan et Perrette, pendant ce temps, étaient arrivés à l’abbaye. La sœur portière, le mercredi précédent, avait vu, avec la lavandière, une ouvrière accoutrée de la même manière que celle qu’elle voyait ce jour-là. Perrette avait préparé les voies, comme bien on pense. Elle ne fut donc pas surprise et ne soupçonna pas la supercherie.
On comprend le soupir de soulagement qu’ils poussèrent quand ils se virent à l’intérieur. Ce n’était pourtant là qu’un premier pas franchi. Avant d’aller chez Bertille, Perrette devait livrer son linge et prendre le sale en échange. Cette opération s’effectua cependant sans encombre. Mais il y avait plus d’une demi-heure qu’ils
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