Le Fils de Pardaillan
Maintenant c’est une autre affaire. Acquaviva – qui se cachait dans une capucinière alors qu’il a les maisons de son ordre à Paris – Acquaviva se sait découvert, menacé par conséquent. Je gage qu’à l’heure présente, il n’est déjà plus au couvent des capucins, d’où je l’ai vu sortir, moi. Il s’est mis à l’abri. Mais si bien terré qu’il soit, vous restez, vous, une menace vivante dont il doit se débarrasser à tout prix. Il ne s’agit plus de Concini maintenant. Il s’agit de lui… et des intérêts de son ordre. Prenez garde, mon enfant, prenez garde. Acquaviva ne vous lâchera pas, il n’aura de cesse ni de trêve qu’il ne vous ait supprimé… Je ne donnerais pas une maille de votre peau.
Et en lui-même, il ajouta :
– A moins que je ne m’en mêle… et il faudra bien. Par Pilate ! je ne veux pas laisser assassiner misérablement cet enfant.
Cependant, Jehan ne montrait aucune inquiétude. Il était simplement un peu étonné.
– Bah ! fit-il avec une dédaigneuse insouciance, vous plaisantez j’imagine. J’ai peine à croire que ce misérable frocard soit aussi redoutable que vous voulez bien le dire.
– Je ne plaisante pas, morbleu ! Jamais je ne fus plus sérieux qu’en ce moment. Voyons, mon enfant, vous me connaissez… Vous savez que je ne suis pas homme à m’alarmer aisément… Eh bien, je vous dis ceci : ce misérable frocard commande à des milliers et des milliers d’affidés, répandus dans le monde entier. Il en a à la ville et aux champs, au palais et à la chaumière, au couvent comme au Louvre. Il dispose de sommes immenses. Il traite de puissance à puissance avec le pape et fait trembler le roi dans son Louvre. Qu’êtes-vous pour lui ? Moins qu’un atome. Si vous n’y prenez garde, il vous pulvérisera plus aisément que je ne brise ce verre.
Et Pardaillan, d’un coup sec, brisa le verre qu’il venait de vider.
– Ventre-veau, monsieur ! dit Jehan moitié sérieux, moitié plaisant, savez-vous que vous finissez par m’inquiéter ?
– Je ne cherche pas à vous inquiéter, répliqua froidement Pardaillan, je cherche simplement à vous faire comprendre que vous avez affaire à un ennemi auprès duquel le grand prévôt, les Concini et les d’Epernon ne sont rien.
– Avouez que vous exagérez un peu, railla Jehan. Pardaillan haussa les épaules et, sans relever la phrase, continua :
– Le sire de Neuvy cherchera à vous faire arrêter. Concini et d’Epernon lâcheront sur vous des bandes de spadassins… C’est leur manière, ils n’en sortent pas. On sait où on va avec eux. Avec un peu de vigilance, on peut déjouer leurs attaques parce qu’elles se produisent toujours de la même façon.
– Que peut faire de plus ce moine ?
– Acquaviva n’a pas de haine contre vous, lui. Il n’en est que plus dangereux, notez bien. Avec lui, rien de précis. C’est le mystère angoissant, c’est l’imprévu dans la plus tortueuse traîtrise. C’est la mort sournoise et foudroyante, sous les aspects les plus inoffensifs.
– Pauvre de moi ! Me voilà bien loti !
– Riez, jeune homme, ce n’est pas pour me déplaire… Au contraire. Riez donc, mais… Dans la rue, sondez le pavé : le sol peut être miné sous vos pas. Regardez en l’air : une cheminée peut s’abattre et vous écraser. Regardez derrière vous, scrutez les coins d’ombre : une balle peut vous étendre raide. Flairez le pain acheté chez le premier boulanger venu ainsi que la bouteille que vous venez de déboucher : ils peuvent être empoisonnés. Avant d’entrer chez vous, assurez-vous que le feu ne couve pas quelque part. Dans votre chambre, voyez si le plancher ne va pas s’effondrer ou le plafond s’écrouler sur votre tête. Retenez bien tout cela, ayez l’œil partout à la fois… A moins que vous n’ayez des raisons d’en finir avec la vie.
– Non pas, ventre-veau ! j’y tiens plus que jamais. Je me déclare dûment convaincu et je vous réponds que je veillerai sur ma précieuse carcasse.
Ceci était dit en badinant. Mais Pardaillan vit bien que ses paroles avaient porté :
– Bon, se dit-il, un bon averti en vaut deux. Je suis sûr maintenant qu’il se tiendra sur ses gardes.
– Et vous, monsieur, demanda Jehan, changeant brusquement de conversation, me direz-vous comment vous avez été renseigné ?
– Oui, certes. Attendu que vous en pourrez tirer profit.
Et Pardaillan, à son tour, raconta
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