Le Fils de Pardaillan
depuis la porte Saint-Honoré jusqu’à la porte Saint-Antoine. Jusque-là, il avait marché doucement, au pas, sans que nul fît attention à lui. Dans le faubourg Saint-Antoine, il piqua sa monture du talon et la mit au trot.
Il alla ainsi jusqu’au mur d’enceinte de l’abbaye Saint-Antoine. Là, il tourna brusquement à droite et parvint en peu de temps au bourg de Ruilly. Il n’y avait là qu’un très petit nombre de maisons espacées au hasard. Il s’arrêta devant une ferme isolée. C’était l’ancien manoir royal de Ruilly. Il y entra comme chez lui.
Un quart d’heure plus tard, il y était rejoint par le moine Parfait Goulard, avec lequel il eut un long et mystérieux entretien, en suite de quoi il le congédia en disant :
– Allez, mon fils, n’oubliez rien. N’oubliez pas, surtout, qu’il faut que ce jeune homme meure au plus tôt… Il y va de l’existence de notre ordre.
– Il mourra, assura Parfait Goulard avec une froide implacabilité.
Le jour même, sur la brune, Acquaviva enfourcha sa mule et repartit dans la direction de l’abbaye Saint-Antoine qu’il contourna. Il passa à la Croix-Faubin, descendit vers Popincourt, gagna la Courtille, longea Montfaucon et parvint au faubourg Saint-Laurent, ayant ainsi tracé un vaste quart de cercle autour de l’enceinte de la ville.
Dans le faubourg, à une centaine de pas de la porte Saint-Martin, il aperçut un moine qui attendait. Acquaviva mit pied à terre. Le moine s’empara de la mule et partit sans avoir prononcé une seule parole.
Acquaviva, à pied, le capuchon toujours rabattu sur les yeux, rentra dans Paris quelques instants avant la fermeture de la porte. Par des voies détournées, les moins fréquentées, il parvint à la rue de la Heaumerie.
C’était une petite rue étroite qui, à l’époque, était très animée. Elle s’étendait parallèlement et au sud de la rue des Lombards. Elle allait de la rue Saint-Denis à la rue de la Savonnerie, à droite, et la rue de la Vieille-Monnaie, à gauche. Au bout de cette rue, près de la rue de la Vieille-Monnaie, se trouvait un cul-de-sac qu’on appelait du Fort-aux-Dames, parce que M me de Montmartre y avait sa prison.
La prison se trouvait presque au fond de l’impasse. C’était une antique bâtisse de trois étages, sombre, obscure, sinistre, comme toute prison. On se tromperait singulièrement si on se figurait que c’était une prison pour rire. C’était une prison très sérieuse au contraire, munie de tout ce qui peut constituer une bonne prison : portiers, guichetiers geôliers, gardes, bourreau et ses aides, chapelle et chapelain ; bons et solides cachots, munis de fortes chaînes, de fers épais, depuis les combles jusqu’aux caves, qui s’enfonçaient de plusieurs étages dans les entrailles de la terre ; chambre de torture : rien n’y manquait.
Seulement, comme la place était un peu exiguë, vu la quantité de prisonniers, comme les Dames n’étaient pas très riches, les malheureux qu’on y enfermait étaient un peu plus mal là qu’ailleurs. Voilà tout.
Ces détails peuvent paraître superflus. On reconnaîtra par la suite qu’ils étaient nécessaires. Il est même probable que nous serons obligé d’y revenir.
Plus avant dans l’impasse, accotée à la prison, se trouvait une maison plus petite, élevée de deux étages. Elle paraissait se dissimuler là. Avec ses fenêtres et sa porte toujours closes, elle semblait plus triste, plus morne, plus lugubre encore que la prison, sa voisine. Encore la prison s’animait-elle, elle. On y sentait palpiter la vie. La porte s’ouvrait et se fermait fréquemment. C’était un va-et-vient incessant de religieux, de religieuses, de geôliers qui entraient et sortaient. Tandis que, de mémoire de voisins, on n’avait vu s’ouvrir la porte massive de la petite maison qui passait pour inhabitée et appartenait à on ne savait qui.
Ce fut vers cette porte que se dirigea Acquaviva, la nuit étant complètement venue. Elle s’ouvrit sans bruit devant lui, et sans qu’il eût besoin de frapper. Et celui qui ouvrait, c’était encore frère Parfait Goulard. Il conduisit son chef tout en haut de la maison, sous les combles, et le fit entrer dans une petite chambre assez confortablement meublée.
Acquaviva jeta un coup d’œil indifférent autour de lui et dit laconiquement :
– Visitons.
Parfait Goulard ouvrit une petite fenêtre à laquelle Acquaviva se pencha pendant que
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