Le Fils de Pardaillan
scrupule ni ménagement, il le récompensait magnifiquement. C’était tout. Lorsque, il n’y avait guère que quelques années de cela, il avait voulu lui donner des lettres de noblesse, le Parlement, chargé d’enregistrer ces lettres, se permit des remontrances respectueuses au sujet de cet anoblissement. Le roi répondit que « cela ne pouvait tirer à conséquence ». Le Parlement s’inclina. Le nouveau marquis étala fièrement ses armoiries, que le roi lui avait fait l’insigne honneur de composer lui-même. Or, ces armoiries consistaient en
un chien
avec un collier semé de fleurs de lis. Il n’y avait vraiment pas de quoi en être fier.
Henri ne fut donc nullement ému à la vue de la déshonorante balafre. Seulement, il crut devoir prendre un air de compassion plutôt féroce et s’exclama :
– Oh ! diable ! mon pauvre La Varenne, mais c’est un coup de cravache que tu as reçu là !
– Un coup de revers, Sire, grinça La Varenne, blême de confusion plus que de douleur.
– Cravache ou revers, le coup est bien mal placé. Te voilà défiguré, pour quelque temps tout au moins. Celui qui t’a si mal accommodé n’a pas la main légère.
La Varenne remarqua que le roi ne demandait pas d’où venait le coup.
Preuve qu’il savait, mais qu’il voulait, pour le moment, paraître ignorer. Il se garda bien de nommer le coupable, seulement son œil indemne se fixa menaçant, chargé d’une haine implacable sur Jehan le Brave, qui le considérait avec un sourire narquois, et il gronda :
– Soyez tranquille, Sire ; je vous réponds qu’un jour ou l’autre je rencontrerai celui qui m’a fait cela, et je vous jure que, moi aussi, j’aurai la main lourde. Tellement lourde qu’il ne s’en relèvera pas.
Jehan se tourna vers Pardaillan et avec un calme souverainement méprisant, il dit :
– Le drôle se vante !…
– Va te faire soigner, La Varenne, fit Henri de son air faussement apitoyé. Va trouver mon médecin Héroard et dis-lui que je lui ordonne de te rendre promptement présentable.
Et s’adressant aussitôt à Praslin, il ordonna :
– Retournez au Louvre, Praslin.
Praslin était soldat, dressé à la discipline militaire. Cependant, il eut une seconde d’hésitation, et respectueusement il remarqua :
– Et le roi !…
– Allez sans crainte, mon ami. Ces deux braves gentilshommes veulent bien m’escorter.
– En ce cas, je m’en vais tranquillement, Sire… A eux deux, ils valent toute une compagnie.
– Dites qu’ils valent une armée, Praslin, dites-le et vous serez encore au-dessous de la vérité, jarnidieu de jarnidieu !
Praslin s’inclina devant le roi, salua profondément les deux hommes qui avaient accepté sans sourciller le compliment fabuleux tombé des lèvres royales, et commanda :
– En route, vous autres !
Le roi attendit en silence que le bruit cadencé des pas se fût perdu dans le lointain. Les fenêtres des bourgeois effarés par le bruit s’étaient refermées les unes après les autres ; la rue, éclairée faiblement par les pâles rayons de la lune, avait repris son aspect paisible et silencieux.
– A notre tour, en route ! commanda gaiement Henri. Jarnidieu ! Je veux profiter de l’escorte vraiment royale que ma bonne fortune me donne ce soir pour faire un tour dans ma bonne ville.
– Sire, dit gravement Pardaillan, Votre Majesté sait que nous sommes tout à ses ordres, mon compagnon et moi.
– Hum ! remarqua malicieusement le roi, à la condition toutefois que ces ordres vous conviennent !
Pardaillan profita de l’obscurité pour laisser épanouir un sourire sur ses lèvres.
– Vous êtes de rudes compagnons, savez-vous bien, jarnidieu ! insista le roi.
Et tout à coup, avec un air de désolation comique :
– Jarnidieu ! jarnidieu ! encore, toujours ce jurement sur mes lèvres. Misère de moi ! je ne parviendrai donc pas à me corriger ? Si mon digne confesseur, le docte père Coton, m’entendait, quel sermon il m’infligerait !
– Eh ! Sire, en quoi le père Coton peut-il être si scandalisé ? Jarnidieu n’est pas, que je sache, un si abominable blasphème.
– Voilà ce qui vous trompe. Pardaillan, dit gravement Henri. Coton prétend que jarnidieu signifie : je renie Dieu. Vous comprenez la gravité d’un tel juron dans ma bouche.
– Votre Majesté ne peut pas se contraindre et refouler ce jarnidieu damnable ? fit Jehan qui s’était tu
Weitere Kostenlose Bücher