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Le Gerfaut

Le Gerfaut

Titel: Le Gerfaut Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Juliette Benzoni
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mettaient en route vers les ambulances surchargées.
    Dans le cercle d’officiers entourant le baron de Viomenil auquel Gilles, imperturbable, délivra sans y changer une syllabe l’insolent message de La Fayette, le jeune homme retrouva Fersen, noir de poudre et soutenant son bras qu’un coup de baïonnette avait atteint. Le Suédois grimaça un sourire.
    — Toujours votre vilain plumage ? Qu’avez-vous fait de mes présents ?
    — Je les garde pour le soleil de la victoire finale. Aujourd’hui, ce n’était pas possible. Mes hommes n’auraient pas compris. Voyez-vous, eux aussi ressemblent bien davantage à des hiboux qu’à des soldats…
    — Il est rare qu’un chef ait de ces délicatesses mais je ne peux que vous approuver.
    Le sourire de Fersen s’acheva dans une grimace tandis qu’il essayait de soutenir son bras blessé.
    — Vous ne pouvez pas rester ainsi, dit Gilles. Laissez-moi vous conduire à l’ambulance.
    — Certainement pas. Mes gens prendront soin de moi 1 . Il n’y a pas de balle à extraire et les quelques médecins sont débordés. Je serai bien mieux chez moi. Et puis, M. de La Fayette ne vous pardonnerait pas de quitter le combat sans son autorisation… Nous nous reverrons bientôt.
    Revenu au milieu des siens, Gilles considéra la plaine et les marais d’un œil désenchanté. Le fracas des canons avait fait place à l’écho des plaintes, exhibant sans pudeur l’affreux revers de la gloire. L’excitation de la bataille tombée, il ne restait plus que la misère et la souffrance. Fauchés par la mitraille, des hommes gisaient un peu partout, les yeux vides, les mains crispées sur des corps où le sang collait les uniformes déchirés aux lèvres des plaies. D’autres, que la mort n’avait pas encore pris, essayaient de traîner leurs carcasses devenues trop lourdes pour leurs forces éteintes, pleurant comme des enfants perdus ou aboyant hargneusement des chapelets de jurons. Il leur fallait maintenant se battre contre les nuées de mouches et contre les moustiques, locataires habituels des marais. L’odeur du sang se mêlait à celle de la vase et au milieu de tout cela, de rares silhouettes d’infirmiers erraient, impuissantes, se livrant à Dieu sait quel choix imbécile et tragique.
    — Mon Dieu ! balbutia Gilles, atterré. Comment cela est-il possible ?
    — Vous n’aviez encore jamais vu de bataille, n’est-ce pas ? fit le colonel Hamilton. Les hommes que vous aviez vu mourir jusqu’à présent étaient tués… proprement en quelque sorte, d’un coup de feu ou à l’arme blanche ? La mitraille et les canons massacrent de plus vilaine façon. Ils déchirent et écrasent. Non… ce n’est pas beau à voir.
    La nuit tombait. Les feux s’allumaient un peu partout piquant la plaine de points lumineux. Sur les redoutes conquises, les vainqueurs prenaient position tandis que l’on évacuait les derniers blessés. Le colonel de Gimat s’éloigna porté sur un brancard en compagnie du chevalier de Lameth gravement atteint aux jambes. Au large, les bateaux amenaient leurs voiles et sur le Ville de Paris le gigantesque amiral de Grasse repliait sa longue-vue et regagnait son fauteuil sur deux cannes, jurant et sacrant contre l’accès de goutte qui lui enflammait les orteils. Sur Yorktown, le silence se faisait et dans l’un et l’autre camp les hommes épuisés allaient s’endormir. Les ténèbres allaient apporter leur trêve bienfaisante…
    Dans la nuit, pourtant, le combat reprit brusquement comme une flamme rejaillit d’un feu mal éteint. À la faveur de l’obscurité, lord Cornwallis parvenu au bout de ses réserves en vivres et en munitions tenta le coup du désespoir. Une poignée de volontaires réussit à quitter subrepticement Yorktown, atteignit les premières défenses françaises, franchit le premier barrage de canons en se faisant passer pour des Américains et tomba comme un orage sur la deuxième parallèle. Mais, avant même que le Haut Commandement eût réagi, le chevalier de Chastellux avait volé au secours des canons avec une partie du régiment de Bourbonnais et quelques hussards de Lauzun. En un clin d’œil tout rentra dans l’ordre. Les volontaires étaient morts ou prisonniers. La dernière chance des assiégés était passée… Plus aucun secours n’était possible. La reddition ne tarderait guère.
    Le soleil en se levant trouva le lieutenant Goëlo et son ombre indienne, sur le chemin qui menait au camp

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