Le Gerfaut
le parapet ! Savez-vous… savez-vous ce qu’il a osé dire, tout à l’heure quand le général Washington et le général Rochambeau ont donné leurs ordres ?
Il laissa peser sur tous un regard enflammé tandis que la colère le faisait trembler de la tête aux pieds.
— Il a osé mettre en doute la valeur de mes soldats, il a osé dire que nous ne savions pas assez bien nous battre pour arracher la redoute aux Anglais ! Alors, messieurs, prévenez vos hommes : On brûlera la cervelle au premier qui fait seulement mine d’hésiter. J’exige, vous entendez, j’exige que nous en ayons terminé avant eux. Allez prendre vos dispositions, maintenant, nous attaquerons à la fin du jour !… Nous saurons l’heure exacte plus tard.
Les officiers sortirent sans rien dire. Gilles s’apprêtait à les suivre mais le jeune Général le retint :
— Un instant, s’il vous plaît ! fit-il sèchement. Je dois vous féliciter, Lieutenant ! Il n’est bruit que de vos exploits chez messieurs les aides de camp du comte de Rochambeau. Vous auriez sauvé, cette nuit, le comte de Fersen ?
— La chose ne vaut pas la peine qu’on en parle, mon Général…
Le ton de La Fayette avait quelque chose d’agressif dont il ne comprenait pas la raison mais qu’il n’aimait pas.
— Croyez-vous ? Je pense, au contraire que vous avez fait là une opération excellente, la meilleure sans doute de toute votre vie car désormais votre avenir est assuré. La Reine n’aura rien à vous refuser !
— La R…
— Ne me regardez pas de cet air effaré ? Oui, la Reine ! M. de Fersen est fort de ses amis… et elle déteste qu’on lui abîme ses amis, notre éblouissante souveraine. Ah ! je vous félicite ! Ce muguet de cour lui est fort cher !…
Ainsi donc, c’était cela, le secret du Suédois ? Il tenait en deux petits mots, en sept lettres brèves et redoutables : la Reine ! C’était la Reine qu’il aimait et, tout à coup, Gilles absurdement, eut envie de voir à quoi ressemblait cette Margaret Collins, à cause de qui le Suédois avait failli finir dans l’estomac d’un requin.
Mais que Fersen aimât ou non l’épouse de son Roi, cela n’expliquait pas le ton hargneux de La Fayette, le pli méprisant de sa bouche et ce regard plein de rancune. Quels étaient donc ses sentiments à lui envers Marie-Antoinette ? Le Breton n’ignorait pas ce qu’il pensait des rois en général mais il considérait plutôt ses tirades enflammées comme autant de vues de l’esprit suggérées par l’aventure que tous vivaient depuis des mois. La Fayette, nourri au lait de l’Encyclopédie, affilié à des loges maçonniques ne pouvait professer d’idées essentiellement monarchiques. Mais la Reine était une femme…
— Monsieur le Marquis, dit Gilles froidement en appuyant intentionnellement sur le titre, Sa Majesté ne me connaît pas et ne me connaîtra sans doute jamais. Cependant vous me permettrez de m’étonner d’avoir entendu, sur une terre étrangère, son nom prononcé sans respect par un gentilhomme français.
Il crut, un instant, que le général allait éclater sous l’afflux violent du sang.
— Le respect ? Pauvre imbécile ! On voit bien que vous venez de votre province ! Allez une fois, une seule fois à la cour, regardez le cercle de la Reine et venez ensuite me dire combien de ces beaux gentilshommes qui l’entourent pensent à elle comme à leur souveraine ou bien rêvent tout simplement de la mettre dans leur lit.
Les yeux de glace bleue dévisagèrent La Fayette parvenu aux limites extrêmes de la fureur puis, du haut de sa taille, le Gerfaut laissa tomber, dédaigneusement :
— Il ne me convient pas d’en entendre davantage. Je viens de ma province en effet qui, d’ailleurs, vaut bien la vôtre ; mais vos propos sont de nature à me laisser croire que vous avez fait partie de ces gentilshommes dont vous me parlez… et que vous êtes tout simplement jaloux de M. de Fersen ! Car, si j’ai bien compris, vous me reprochez d’avoir sauvé un compagnon d’armes !
Il sortit juste à temps pour éviter le jet brutal d’un encrier, dont les éclaboussures lui firent cadeau de quelques taches supplémentaires et retrouva le soleil avec un soulagement physique. La scène qui venait de se passer lui déplaisait car il avait commencé de s’attacher à un chef dont il admirait le courage et il n’aimait pas avoir à revenir sur ses sentiments.
— Que se
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