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Le Gerfaut

Le Gerfaut

Titel: Le Gerfaut Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Juliette Benzoni
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impassibilité coutumière, il accueillit sans un mot l’ordre de demeurer à la disposition du comte de Fersen, se contentant de s’asseoir, les jambes croisées au pied de la tente pour y attendre sans boire, sans manger et sans même lever un sourcil aussi longtemps qu’il plairait à celui qu’il s’était donné pour maître.
    Gilles regagna ses quartiers dans un état voisin du somnambulisme, sans rien voir et sans rien entendre. Pourtant, sur son chemin, les troupes éclataient de joie à cause d’un simple morceau d’étoffe blanche qui, sur les ruines de la ville assiégée, venait de remplacer le drapeau anglais. C’était la reddition. Cornwallis abandonnait la partie et demandait à parlementer. C’était peut-être la fin de cinq années de lutte et de misère mais Gilles, pour la première fois, ne se sentait pas concerné. Seul comptait pour lui égoïstement son bouleversement intérieur.
    Sa course aveugle s’acheva dans les bras de Tim qui, hilare, lui barrait le chemin.
    — Eh bien ! Où cours-tu comme ça avec une tête de catastrophe ? C’est la joie, c’est la victoire et toi, tu as l’air de revenir de l’autre monde…
    — C’est que j’en viens peut-être ! J’en suis même à me demander si je ne suis pas en train de devenir fou… ou si je rêve. Depuis une heure… j’ai vécu l’impossible !
    Le rire de Tim s’éteignit. Sans lâcher le jeune homme qu’il tenait aux épaules, il scruta son visage défait.
    — Un ami, dit-il gravement, ça doit pouvoir comprendre même l’impossible. Et je suis ton ami. Raconte !
    Il l’entraîna sous sa tente, lui ingurgita une solide ration d’un rhum dont il semblait détenir une inépuisable provision et regarda avec satisfaction les couleurs revenir au visage gris de son ami.
    — Il paraît que tu as été appelé chez le colonel suédois ! dit-il. La Fayette est furieux et il a peut-être raison si c’est lui qui t’a mis dans cet état.
    — Au diable La Fayette et ses idées tordues ! hurla Gilles. Ce que Fersen a fait pour moi je ne vois guère que toi au monde pour en être capable. Écoute plutôt…
    Tim écouta sans mot dire le récit haletant du jeune homme. Quand ce fut fini il ne montra pas davantage d’émotion mais, prenant Gilles par la main il l’amena jusqu’à la petite croix de bois grossier qu’en bon chrétien le Breton avait accrochée au piquet central de sa tente.
    — Le Suédois a raison, dit-il enfin, la main de Dieu est là. Prions ensemble pour qu’il accorde à ton père le temps d’apprendre qu’il a un fils…
    — Qui te dit qu’il n’en a pas d’autres ? Qui te dit qu’il en serait heureux ?
    — Rien du tout, admit Tim avec simplicité… si ce n’est qu’un homme pourvu d’une famille et d’un établissement convenable, ne se cache pas sous un nom d’emprunt ! Prions, te dis-je.
    Docilement, Gilles s’agenouilla auprès de son ami et entama avec lui les prières communes à leurs religions différentes. Il s’en trouva bien mais n’en refusa pas moins de se mêler à l’allégresse générale. Son esprit ne pouvait se détacher de la fragile demeure de toile à l’abri de laquelle vacillait une vie devenue en si peu de temps étonnamment chère et précieuse.
    — Reste chez toi, lui conseilla Tim. Je dirai que tu as la fièvre. La bataille est finie : on n’a plus besoin de toi.
    En voyant surgir Pongo, aux environs de cinq heures, Gilles eut un coup au cœur mais l’Indien l’apaisa d’un geste, avant même qu’il ait pu ouvrir la bouche.
    — L’homme n’a pas encore rejoint ses ancêtres, dit-il en tendant un billet plié et ton ami m’a donné pour toi le papier qui parle.
    Le billet ne contenait qu’une seule ligne.
    Venez, écrivait Fersen, mais faites-moi la grâce de mettre l’uniforme que je vous ai envoyé.
    Une demi-heure plus tard, Gilles lavé, rasé, peigné, brossé, emperruqué, transformé comme par magie en brillant officier du Roi quittait sa tente comme un papillon sa chrysalide. Un juron admiratif l’accueillit au seuil :
    — Par Abraham et tous les Prophètes ! s’écria Tim qui fumait sa pipe à l’ombre d’un pin échevelé. Te voilà brillant comme le soleil. Tiens, ajouta-t-il en tirant de derrière l’arbre le cheval tout sellé qu’il tenait par la bride, le colonel Hamilton m’a dit de t’amener ce canasson sous prétexte que tu serais sûrement pressé.
    — Comment le sait-il ? Quelqu’un

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