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Le Gerfaut

Le Gerfaut

Titel: Le Gerfaut Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Juliette Benzoni
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pièce prit un air de fête.
    — Est-ce que monsieur soupera en bas ou bien préfère-t-il qu’on le serve ici ?
    — Ma foi non, je descendrai. Dites-moi, mon ami, connaissez-vous, dans les environs un domaine qui s’appelle le Frêne ?
    Le visage, naturellement aimable de l’aubergiste, se ferma comme une huître.
    — C’est à cinq ou six lieues d’ici, sur la route de Dinan et à l’orée de la forêt.
    L’homme avait hésité à répondre et ne l’avait fait visiblement qu’à regret.
    — On dirait que l’endroit ne vous plaît pas ? remarqua Gilles négligemment.
    — Il n’a pas à me plaire ou à ne pas me plaire, monsieur. C’est une maison seigneuriale et je ne suis qu’aubergiste et maître de poste ! Mais pour rien au monde on ne me ferait aller là à la nuit close… ni même en plein jour. C’est un mauvais endroit !
    — Pourquoi ? Est-ce que…
    Mais l’aubergiste saluait profondément, virait sur ses talons et galopait vers la porte.
    — Pardonnez-moi, mon gentilhomme, mais on m’attend à la cuisine. Si le souper est mauvais, vous ne serez pas content et moi non plus !
    Il disparut laissant Gilles à des conjectures qui n’avaient rien d’aimable. Décidément, la réputation du logis des Saint-Mélaine était toujours aussi détestable et le temps n’y avait rien changé. Tirant une chaise devant le feu d’ajoncs et de fougères sèches qui mettait dans la chambre une odeur de grand air, il s’y installa, étendit jusqu’aux chenets ses longues jambes bottées et sortit, une fois de plus, de son habit la lettre de Judith dont il contempla l’écriture d’une extravagance fébrile. Il ne lisait pas. Depuis une semaine qu’il l’avait reçue, il la connaissait par cœur.
     
    Pourquoi êtes-vous parti si loin ?… Il me semble que je jette cette lettre à la mer et qu’elle va errer éternellement sur l’eau sans jamais vous toucher. De toute façon, elle arriverait trop tard pour me sauver. Je vous avais promis de vous attendre trois ans et, à moi-même, je l’avais juré ! Hélas ! je vais devoir nous manquer de parole à l’un et à l’autre. Comment père a-t-il pu croire un instant que les murs d’un couvent et sa volonté suprême retiendraient mes frères lorsque leur intérêt est en jeu ? Ils ont décidé de me reprendre avec eux et ils ont fait savoir à Mme de La Bourdonnaye, notre abbesse, qu’ils viendraient me chercher demain. Demain !… Quelques heures encore et je repartirai vers ce manoir du Frêne qui me fait si peur. Il n’y a aucun moyen de refuser ; ils ont la loi pour eux et menacent de réclamer l’aide de la Sénéchaussée. Je les crois capables de violer même l’asile de la chapelle s’il me prenait l’idée d’y chercher refuge. Mais je ne le ferai pas car je ne veux pas être ici un objet de scandale et de malheur…
    Demain donc je les suivrai ! Je sais qu’ils ont résolu de me marier à un certain M. de Vauferrier. C’est un vieillard et ce doit être leur compagnon de débauche mais il est riche et possède des navires. Morvan qui est allé, paraît-il, en Amérique, l’a connu aux Îles et en est revenu sur l’un de ses bateaux.
    Je les suivrai, ai-je dit, mais je ne me laisserai pas livrer à cet homme dont ici l’une de mes compagnes, qui lui est apparentée, m’a fait un portrait affreux. Je ne suis pas une esclave qu’on achète avec de l’or. Et puis, voilà si longtemps que je rêvais d’être à vous. Je crois bien depuis le jour où vous m’avez tirée de la rivière. Maintenant que nous allons être séparés sans grand espoir de nous rejoindre un jour, je peux bien vous l’avouer, je vous ai aimé du premier instant, du premier regard et si je me suis montrée, par la suite, odieuse et détestable, c’était parce que mon orgueil refusait de se soumettre à cet amour…
    Oh, mon Dieu, comment ai-je pu être aussi stupide, aussi sottement arrogante ! Je t’appelais « le petit curé », mon amour, et pourtant, au fond de moi-même, j’étais déjà toute à toi. J’aurais tant voulu te suivre, aller avec toi n’importe où… même au fond des bois dans une hutte de charbonnier pour y être ensemble, l’un à l’autre. Quand tu m’as ramenée au couvent, je crois que, si tu m’avais demandé de partir, je serais partie sans hésiter. J’aurais pu fuir en Amérique, déguisée en garçon, faire n’importe quoi… Mais c’était t’empêcher d’atteindre peut-être

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