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Le Gerfaut

Le Gerfaut

Titel: Le Gerfaut Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Juliette Benzoni
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lui a dit quelque chose ?
    — Pas moi, en tout cas. Je viens de le voir pour la première fois de la journée et il avait l’air encore plus pressé que toi. Il m’a presque jeté ce bestiau dans les bras…
    Mais Gilles était déjà en selle. Il était inutile de chercher à comprendre. Apparemment, c’était le jour des miracles… En quelques minutes de galop il atterrit devant la tente dont les toiles étaient largement relevées mais au seuil, il hésita, pris d’une étrange timidité, ôta son chapeau et le mit sous son bras. La voix familière de Fersen lui parvint, encourageante.
    — Entrez, mon ami. Nous vous attendions…
    Il fit deux pas et s’arrêta, raidi, la gorge étranglée sous le hausse-col de cuivre. Étayé par une pile d’oreillers et de manteaux roulés, le blessé le regardait…
    Le lit avait été apporté dans la pièce principale de la tente et installé en plein milieu, comme un trône ou un autel. Une chemise blanche moussait sur la poitrine haletante du moribond. Car la mort, visiblement, approchait. Pierre de Tournemine était plus blême que le matin, les ombres de ses orbites plus grises encore mais ses yeux, d’un bleu de lac, les yeux mêmes de Gilles, étaient grands ouverts et regardaient droit…
    Ils s’emparèrent du jeune homme avec une sorte d’avidité détaillant silencieusement son visage, sa silhouette athlétique, le port un peu hautain de sa tête, ses mains dont l’une blanchissait aux jointures crispée sur la corne noire du chapeau. Cela dura quelques secondes mais, pour Gilles, cela dura des siècles. Il espérait et redoutait tout à la fois les mots qui allaient sortir de cette bouche desséchée que Sven humectait de temps en temps. Quand ils vinrent enfin, il eut l’impression qu’ils provenaient des profondeurs mêmes de la terre tant la voix était faible et basse.
    — Ainsi… tu es l’enfant de Marie-Jeanne ? M. de Fersen m’a dit… Mon Dieu !… si j’avais pu savoir… tant de choses auraient pu changer… tant de choses… Et j’ai si peu de temps à cette heure… Approche !… Approche… mon fils !
    Les jambes fauchées, Gilles s’abattit à genoux auprès du lit, les yeux pleins de larmes.
    — Père !… balbutia-t-il, ébloui par le son clair de ce tout petit mot qu’il n’avait jamais eu le droit de prononcer. Père… J’ai tant rêvé de vous… Je vous ai tant appelé…
    La main tremblante du mourant chercha la sienne, s’y cramponna. Elle était sèche et froide comme une serre.
    — Tu ne me détestais donc pas ? Ta mère ne t’a pas appris à me haïr ? Je lui ai tellement fait… horreur !
    — Elle n’a jamais parlé de vous…
    — Alors qui… qui ? Mon Dieu… je voudrais tant savoir. Dis-moi ! Parle-moi… de toi… de ton enfance… Un bâtard… Voilà ce que tu étais…, par ma faute sans doute… mais aussi par la sienne, à elle. Je l’aimais, vois-tu, et elle aussi m’a aimé ! Oh ! pas longtemps !… Rien qu’un moment, rien qu’une nuit… celle qui me l’a donnée ! Mais ensuite… elle a tout repris, tout d’elle-même et quand je l’ai suppliée de tout quitter… de me suivre en Afrique… de devenir ma femme, elle m’a chassé avec dégoût en m’appelant Satan… Parle, mon fils… parle-moi de toi ! J’ai si peu de temps pour te connaître…
    De l’autre côté du lit, la silhouette blanche d’Axel apparut et se pencha :
    — Monsieur, dit-il doucement, il vous faut différer un peu ! Ceux que vous attendez sont là. Tout est prêt.
    Un faible sourire étira les lèvres grises.
    — C’est trop juste ! Je dois employer au mieux les minutes qui me restent encore… Priez-les de venir jusqu’ici… Relève-toi, mon fils…
    La tente s’emplit d’un groupe silencieux et chamarré. Redressé mais ses doigts toujours noués à ceux de son père Gilles effaré vit entrer le vicomte de Noailles, le comte de Charlus, le duc de Lauzun superbe sous son dolman rouge de hussard, le marquis de Saint-Simon, le comte de Deux-Ponts et enfin le général de Rochambeau lui-même de chaque côté duquel les autres se rangèrent. La robe brune d’un moine tranchait sur la splendeur des uniformes. Le mourant les accueillit d’un sourire et d’un signe de tête :
    — Je vous rends grâce, messieurs, d’être venus jusqu’à moi… afin de m’aider à réparer la plus grave de mes fautes avant de… paraître devant Dieu. Le Seigneur a bien voulu permettre

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