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Le Gerfaut

Le Gerfaut

Titel: Le Gerfaut Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Juliette Benzoni
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que ma race ne s’éteigne pas avec le dernier et misérable rameau que je suis. Sans le savoir, j’avais laissé en France un fils, connu sous le nom de sa mère et élevé par elle. Ce fils, le voilà… messieurs, je vous demande d’être témoins de la déclaration solennelle que… je fais ici, à cette heure suprême…
    Il s’arrêta, regarda Fersen déroulant devant lui une feuille de papier.
    — Par cet acte qu’à défaut de notaire a bien voulu établir le Père Verdier, aumônier du régiment de Touraine ici présent, je reconnais et légitime mon fils bâtard Gilles Goëlo comme l’unique et dernier descendant de la maison de Tournemine de la Hunaudaye afin qu’il puisse à l’avenir et s’il plaît au Roi, porter… le nom et les armes qui sont siens par droit naturel. Monsieur le comte…, ajouta-t-il en tournant la tête vers Rochambeau, je crois… que vous l’avez connu avant moi. Voulez-vous nous faire à l’un et l’autre l’honneur d’apposer ici, et le premier, votre signature ?
    — L’honneur est pour moi, Monsieur le comte ! Tous ici, tant que nous sommes, avons appris à connaître et à apprécier ce jeune homme. Moins sans doute que nos amis Américains auprès desquels il a désormais sa légende mais assez pour vous féliciter de vous continuer dans un tel fils. Mourez en paix car, sur mon honneur, votre descendance est en bonnes mains.
    Saisissant la plume que lui tendait Sven, le Général signa rapidement. Les autres suivirent. Quand ce fut fini, le moribond demanda qu’on voulût bien le soulever afin de lui permettre d’apposer à son tour son nom. L’effort lui coûta un redoublement de souffrance mais il y parvint non sans que la plume n’eût taché le papier avant de s’échapper de ses mains. On le reposa doucement dans son lit.
    — Merci…, souffla-t-il, merci à tous ! Que Dieu… qui vous a donné la victoire… vous garde et vous aide…
    L’un après l’autre, les officiers saluèrent et sortirent de la tente. Seuls demeurèrent Fersen et son serviteur. Gilles reprit auprès du lit sa pose agenouillée et, doucement, porta à ses lèvres la main du blessé sans chercher à dissimuler les larmes qui coulaient sur ses joues.
    — Mon père ! murmura-t-il. Comment vous dire…
    — Rien !… Tu n’as rien à dire. C’est justice… Et j’en ai tant de joie ! Maintenant, parle-moi… Je sens que ma vie s’en va. Je l’ai retenue autant que j’ai pu… La nuit vient… elle va me prendre mais près de toi, je m’endormirai plus doucement ! Parle… Raconte. Je veux t’entendre jusqu’au bout…
    Longtemps, Gilles parla. Il parla de sa mère, de son enfance, de tous ceux qu’il avait connus, de la Bretagne, de l’Amérique aussi. Sa voix basse emplissait la tente sur les parois de laquelle la lumière des chandelles jetait des ombres dansantes. Il aurait voulu pouvoir, à son tour, interroger son père, apprendre de lui ce qu’avait été sa vie avant cette minute, le drame de son départ de France, de cet amour survenu trop tard dans une vie déjà marquée par le plaisir et que Marie-Jeanne avait repoussé avec horreur… mais Pierre de Tournemine ne bougeait plus qu’à peine. Ses yeux ne s’ouvraient plus et par moments sa respiration disparaissait. Gilles alors se taisait, mais la main qu’il tenait toujours se serrait imperceptiblement.
    — Continue…, soufflait le mourant.
    Et il continua, de plus en plus doucement, de plus en plus bas, jusqu’à ce qu’enfin les doigts glacés se détendissent entre les siens. Le souffle s’exhala et ne revint pas… Le silence s’installa… Pierre de Tournemine avait cessé de vivre.
    Quelque part un coq chanta. L’aube allait venir…Vers le levant, déjà, le ciel pâlissait.
    — Tout à l’heure, fit la voix enrouée de Fersen qui avait veillé toute la nuit, les troupes anglaises sortiront de Yorktown et viendront remettre leurs armes au général Washington et au général de Rochambeau mais, ce soir, nous rendrons à la dépouille de votre père les honneurs qui sont dus à un soldat mort à l’ennemi. Allez vous reposer… Monsieur de Tournemine.
    Les yeux las de Gilles dévisagèrent le Suédois. Il ouvrit la bouche pour dire quelque chose mais l’émotion l’en empêcha. Il regarda alors le corps à jamais inerte dans ses draps tachés de sang. Une brusque douleur lui vrilla le cœur et, avec un cri rauque, il s’abattit secoué de sanglots sur le cadavre de

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