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Le Gerfaut

Le Gerfaut

Titel: Le Gerfaut Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Juliette Benzoni
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l’on disait, et il ne pouvait être question pour son fils de manquer la classe quelques jours pour une chose aussi futile que le mariage d’une cousine. Mais où pouvait-il être maintenant ?
    Le cœur lourd, envahi par un affreux sentiment de solitude et d’impuissance, Gilles laissa ses jambes suivre ses pensées et le ramener au port. C’était à la marée du soir que Jean-Pierre devait s’embarquer, la marée qui serait pleine à 10 heures. Et très certainement le Nantais lui avait donné rendez-vous comme la veille à l’ Hermine Rouge .
    En arrivant devant la taverne, il était décidé à tout. Dût-il déchaîner les pires catastrophes, il arracherait à ce misérable le lieu d’embarquement de son camarade. Il avait si peur pour Jean-Pierre qu’il n’avait même pas conscience du danger qu’il allait courir lui-même.
    Avant de franchir le seuil, il se contenta d’un rapide signe de croix puis poussa la porte.
    Le décor était exactement le même que la veille et Gilles eut l’impression de remonter le temps. C’étaient les mêmes dos, les mêmes fumées, les mêmes visages. Au comptoir, Yann Maodan avait exactement la même attitude et les deux servantes les mêmes gestes en voltigeant parmi les tables. Oui, tout était pareil… sauf un détail : la table du Nantais était vide !
    Le cœur de Gilles cogna un peu plus fort mais il serra les dents, redressa les épaules et ce fut d’un pas parfaitement tranquille qu’il marcha vers le comptoir. Yann Maodan, sourcils froncés, le regarda approcher.
    — Que veux-tu, garçon ? demanda-t-il d’une voix rocailleuse. Tu es bien jeune pour le rhum ou les filles.
    Le préambule n’était pas encourageant. La mémoire de Yann Maodan était trop bonne pour qu’il n’eût pas reconnu un client de la veille, mais Gilles ne s’y arrêta pas.
    — Je veux voir le Nantais, fit-il froidement.
    Le patron torcha son nez sur un bras aussi velu que celui d’un ours, se racla la gorge, cracha, émit un petit rire puis consentit à déclarer :
    — Ça tombe mal ! Il est pas là !…
    — Cependant, il m’a dit hier que je pourrais le trouver ici quand je le voudrais.
    — P’t’ être bien ! Mais tout ce que je sais c’est qu’il est pas là et qu’il viendra pas ce soir. Qu’est-ce que tu lui veux ?
    Gilles ignora la question, serra les poings tandis que son regard, planté dans celui de Yann, durcissait lentement.
    — C’est affaire entre lui et moi, articula-t-il. Pouvez-vous me dire où le trouver ?
    — Non !
    Yann avait presque crié le mot et Gilles eut conscience tout à coup du silence qui s’établit et de ce que tous le regardaient. Il eut conscience aussi de la présence de Manon, figée de terreur au bout du comptoir, cramponnant son plateau à deux mains. Pourtant son regard à lui, maintenant glacé, ne quittait pas celui de Yann qui venait de vaciller brusquement comme celui d’un animal fasciné. L’ancien galérien n’avait encore jamais vu des yeux comme ceux-là, surtout chez un garçon si jeune. C’étaient comme deux lames d’épées enfoncées dans sa tête, rigides, implacables, des yeux d’oiseau de proie qui ne cillaient pas. Il eut hâte d’échapper à leur pouvoir et son malaise se traduisit en fureur.
    — Qu’est-ce que tu attends ? J’ai dit qu’il ne viendrait pas. Quant à savoir où il est, je l’ignore. Peut-être au diable ! En tout cas il a quitté la ville. Maintenant, décampe et qu’on ne te revoie plus ici. J’ai pas envie d’avoir maille à partir avec les argousins si on allait leur dire qu’y vient ici des mions de ton âge…
    — Vous êtes devenu bien scrupuleux, depuis hier, commença Gilles.
    Mais il aperçut soudain le visage épouvanté de Manon. La petite servante était au bord de la syncope et il eut pitié d’elle. Haussant les épaules, il tourna les talons.
    — C’est bon ! Je m’en vais !…
    Et il sortit, la mort dans l’âme sans même entendre le rappel hargneux de Yann Maodan qui aboyait :
    — Où tu vas, Manon ? C’est-y qu’y te manque encore quelque chose ? Va plutôt servir à boire…
    Cette nuit-là, Gilles ne rentra pas rue Saint-Gwenael. Poussé par la colère impuissante, l’angoisse et en dépit de tout espoir, il erra inlassablement sur le port, d’un bout de la Rabine à l’extrémité de Calmon-Bas, épiant les bateaux et le moindre mouvement qu’il pouvait y déceler, espérant toujours voir surgir la

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