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Le Gerfaut

Le Gerfaut

Titel: Le Gerfaut Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Juliette Benzoni
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silhouette courtaude de Jean-Pierre. Il descendit même la rivière jusqu’à la pointe de Langle, scrutant les reflets de l’eau noire, à l’affût du moindre navire en partance. Mais la haute mer avait apporté avec elle un vent aigre, coupant et chargé de neige qui mugissait, tordant les chevelures hirsutes des pins maritimes et personne, ce soir-là, ne quitta le port de Vannes. Gilles, lui, ne sentait ni le froid, ni le vent, ni la fatigue. Il avait envie de crier, d’appeler ce garçon auprès duquel, durant des années, il avait vécu sans même s’en soucier et qui, tout à coup, lui était devenu aussi cher qu’un frère, ce garçon qu’il ne reverrait plus et qu’il ne pourrait pas sauver.
    Quand le petit matin se leva, gris sur la mer grise et sur les vasières découvertes par la marée retirée, dessinant vaguement les barques et la fourrure sylvestre de la petite île de Conleau habillée de brume, Gilles quitta enfin le rocher sur lequel il était venu s’abattre au terme de sa course solitaire et forçant à la marche ses longues jambes engourdies par le froid, reprit lentement le chemin de la ville, le cœur vide d’espoir et la tête lasse.
    La cloche de l’île sonnant l’Angélus le ranima. Il se rappela tout à coup que l’on était dimanche et que c’était le jour où Manon se rendait dans la petite maison de la porte du Boureau pour y voir sa sœur, la petite maison où elle lui avait donné rendez-vous. Alors, il se mit à courir.
    Quand il atteignit la rue Saint-Gwenael, c’était l’heure de la première messe, celle que fréquentaient les servantes et les vieilles demoiselles pieuses qui d’ailleurs iraient encore par la suite entendre la grand-messe. Des formes noires se hâtaient avec précaution sur la mince couche de neige craquante qui ouatait les pavés et ourlait les toits pointus. Alors, pour éviter d’être reconnu, il se glissa dans l’ombre de la vieille halle jusqu’à ce qu’il ait vu passer sa logeuse, suivie de la servante.
    Sûr alors de n’être plus rencontré, il regagna sa chambre glacée pour y reprendre quelques forces et attendre, sans aucune patience la fin du jour.
    Heureusement, la nuit tombe vite en hiver. Le temps couvert la fit plus rapide encore et elle était fort noire quand Gilles, enveloppé d’un vieux manteau hérité de son parrain, se dirigea vers la maison de la fileuse.
    Ce n’était pas loin. Il suffisait de contourner la cathédrale et d’enfiler l’étroite ruelle passant sous la porte du Boureau débouchant de l’autre côté des remparts. Le chemin était désert, le silence total et sans la neige il aurait fallu des yeux de chat pour s’y reconnaître. Pourtant Gilles repéra tout de suite la maisonnette : collée contre l’énorme muraille, elle formait une boursouflure malsaine avec son encorbellement menaçant ruine et son toit posé de guingois comme le chapeau d’un ivrogne. La lumière jaune qui filtrait de deux volets clos lui faisait des yeux sinistres. Mais Gilles, bien décidé à en apprendre davantage sur les occupants de l’ Hermine Rouge , s’avança vers la porte étroite, percée d’un judas grillé et frappa comme Manon lui avait montré…
    Le judas s’ouvrit presque instantanément. Derrière le grillage, la flamme d’une chandelle révéla un visage pâle aux yeux inquiets qui, très vite, s’éclairèrent.
    — C’est toi ? souffla Manon. Je ne t’espérais pas si tôt… Attends un instant, je t’ouvre !
    Il y eut le bruit assourdi d’une barre que l’on retirait puis celui d’une gâche bien graissée qui jouait et le battant s’écarta sans le moindre grincement. Comme sous l’ombre de la porte Saint-Vincent, la petite main rêche de la jeune servante saisit celle du garçon pour l’attirer à l’intérieur.
    — Entre vite et ne fais pas de bruit. Ma sœur dort là, fit-elle en désignant du menton une porte close découpée au fond du couloir dont les murs peints à la chaux étaient d’une éclatante blancheur.
    — Je viens peut-être trop tard ? Vous alliez sortir ? balbutia Gilles en constatant que Manon portait, sur ses épaules, une grande mante brune à capuchon.
    Mais elle haussa les épaules avec insouciance et se mit à rire.
    — Trop tard non ! Simplement je n’espérais pas ta visite ce soir et j’allais retourner à l’ Hermine parce que je m’ennuyais. Mais tu es le bienvenu !
    Elle l’entraînait vers la tache claire que dessinait sur le

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