Le Glaive Et Les Amours
affaires ?
— Belle lectrice, la chose étant complexe, j’aurai fort
besoin de votre finesse pour la faire entendre à tous ceux qui me lisent. Voici
le problème. La Paulette, m’amie, n’est pas une mignote comme on pourrait
croire. C’est une loi, et une loi fort déplaisante. Elle fut imaginée par un
nommé Paulet qui, tout content de sa trouvaille, voulut lui donner son nom.
Voici ce qu’il en était. Un officier, entendez par là non pas forcément un
militaire mais un quidam qui détient un office, ou une fonction si vous
préférez, un officier, dis-je, qui est propriétaire de son office peut, s’il voit
sa mort prochaine, léguer ledit office à son fils, moyennant le versement de la
fameuse taxe nommée Paulette, dont le montant était renégocié tous les neuf
ans. Le legs n’était valable que si le légataire survivait quarante jours à sa
donation.
— Mais quelle odieuse chinoiserie ! Et quel est
l’avantage pour le roi ?
— Considérable. Si la survie des quarante jours n’est
pas respectée, le quidam étant mort avant cette limite, son fils est déshérité
en faveur du roi, lequel peut revendre cet office quand et à qui il lui plaît.
— Et que fit votre Particelli pour améliorer ou
aggraver cette inique disposition ?
— Hélas, il l’aggrava ! Lors de la renégociation
de 1648, il porta le montant de la Paulette à quatre années des gages de
l’officier.
— Quatre années ! Mais c’est ajouter l’inique à
l’inique ! La somme demandée est exorbitante !
— Elle l’est, en effet. Et c’est pourquoi la reine,
s’attendant de la part des juges à des cris et des grincements de dents,
exempta astucieusement le Parlement de cette imposition. Seules étaient
frappées la Cour des aides et la Chambre des comptes. Par malheur, cette astuce
fut déjouée. Non seulement le Parlement se solidarisa avec les trois cours
susnommées, mais il alla beaucoup, beaucoup plus loin : le treize mai
1648, après consultation des intéressés, il rendit un arrêt qu’il appela
l’arrêt d’union, au nom duquel le Parlement et les trois cours déjà citées se
fédérèrent pour n’en former qu’une.
« Or, cette décision était révolutionnaire. C’était
introduire une sorte de république dans la monarchie. C’était empiéter, comme
avait fait le Parlement anglais, sur l’autorité royale. En fait, la révolte des
juges contre le pouvoir royal est le premier acte de cet événement calamiteux
et tristement célèbre qu’on appelle la Fronde.
— La Fronde ? Et pourquoi ce nom ?
— Du nom de ces lance-pierres que les galapians
utilisaient pour se bombarder de cailloux dans les fossés de la capitale. Ce
nom de Fronde, bénin et lénifiant, recouvre en fait une réalité très menaçante
pour la régente et le jeune roi.
Anne d’Autriche et Mazarin commencèrent à s’alarmer. Le
Parlement, la Cour des aides, la Chambre des comptes, et le Grand Conseil se
sont, devant leurs yeux, ligués contre le pouvoir royal.
Le problème qui se pose alors à la Cour est le suivant. Qui
de Mazarin ou de Chavigny, son rival, osera annoncer à la reine la décision du
Parlement ? Chavigny, que Mazarin soupçonne non sans raison d’avoir
participé aux manœuvres feutrées du Parlement contre la régente, préfère, à la
réflexion, se taire. Et c’est sagement fait, car le vote fédérant les quatre
cours souveraines parisiennes s’étant fait à main levée, comment ne pas
redouter que quelque œil épiant ait vu celle de Chavigny se lever aussi.
— Eh bien, Messieurs, j’écoute, dit à la parfin la
reine, que ces atermoiements agaçaient.
— Votre Majesté, dit Mazarin, d’après ce que j’ai su de
cette affaire, et si je ne me trompe sur un point, Monsieur de Chavigny, qui
était présent, voudra bien me corriger (lecteur, admire au passage cette petite
perfidie). Voici comment l’affaire se fit.
Le treize mai 1648, le Parlement a rendu un arrêt d’union
par lequel les quatre cours parisiennes se fédèrent afin d’agir contre le
retranchement des gages.
Un grand silence suivit ce rapport, et tous les yeux se
tournèrent vers la reine qui tour à tour rougit et pâlit, et se levant
brusquement de son lit, se mit à marcher de long en large en laissant éclater
sa colère. Il lui fallut quelques secondes pour retrouver sa voix, et quand
elle put enfin parler, son discours, quoique furieux, fut bien articulé et
parfaitement
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