Le Glaive Et Les Amours
Cela
revient à dire : « Puisque cette perspective m’effraye, je la
nie. » Cependant, Mazarin intervient. Sans prendre parti pour Gondi, il se
porte garant de sa sincérité, et la reine peu à peu rentre dans ses gonds et
demeure bouche close et cousue, pour le moment du moins, et les présents, à
savoir Gondi, Gaston, Mazarin, Guitaut, Longueville et moi, encouragés par ce
silence, se mettent à parler de « l’émotion » sans oser encore
employer le mot honni et pourtant vrai : la révolte.
Guitaut, que j’aime fort, pour la raison qu’il est le seul
homme de cour à dire partout et toujours ce qu’il croit être vrai, et parfois
assez lourdement, demande permission à la reine de bailler son avis. Avec assez
de bonne grâce elle y consent, et Guitaut dit bonnement et roidement sa râtelée
sur l’affaire : « Le mieux est de rendre à ces rebelles ce vieux
coquin de Broussel, mort ou vif. » À peine a-t-il eu le temps de finir son
rôle que la reine s’empourpre et Gondi aussitôt vole à la rescousse de Guitaut,
et fort habilement s’exclame :
— On le rend mort ? Non ! Ce ne serait ni de
la piété ni de la prudence de la part de la reine, mais on le rend vivant, et
cela pourrait faire cesser le tumulte.
Observez, de grâce, que Gondi a employé le mot tumulte qui
minimise beaucoup les choses, et non le mot révolte que la reine, on s’en
souvient, honnit.
Malgré cela, la reine s’empourpre et s’escalabre. Elle
foudroie Gondi de regards furieux et s’écrie :
— Monsieur le Coadjuteur, vous voudriez que je donnasse
la liberté à ce Broussel. Je l’étranglerais plutôt de ces deux mains que voilà,
et vous aussi.
Nous sommes atterrés, et un silence tombe, très long et très
lourd, jusqu’à ce que Mazarin s’approche de la reine et lui parle longuement à
l’oreille. Je fais confiance à ce suave cardinal. Il adoucirait un tigre.
*
* *
— Monsieur, de grâce, qu’est-ce qu’une barricade ?
— Belle lectrice, rien qu’à votre question j’entends
bien que vous êtes jeune. Vous êtes trop jeune pour avoir connu les barricades
de 1968 à Paris.
— En effet.
— Je dirai donc d’évidence qu’une barricade est
construite avec des barriques pour barrer une route, non seulement des
barriques mais aussi des tas d’objets lourds et hétéroclites. Les barriques
sont le plus souvent remplies de terre ou de pierres afin de résister mieux aux
mousquetades. Derrière cette barricade sont accroupis les révoltés prêts à
tirer sur les soldats royaux qui voudraient les prendre d’assaut, tandis que,
du haut des fenêtres, de bonnes commères, ayant fait provisions de grosses pierres,
sont prêtes à lapider les assaillants.
— J’entends bien par là, Monsieur, qu’une armée
régulière a peu de chances de s’emparer d’une barricade.
— Si, mais en employant alors les grands moyens, les
pétards de guerre et les canons. Dans ce cas, il y aurait beaucoup de morts, et
la réconciliation du peuple avec la reine deviendrait fort aléatoire.
— Monsieur, peux-je vous poser encore question ?
Quand la reine dit : « Monsieur le Coadjuteur, vous voudriez que je
donnasse la liberté à ce Broussel », ce « donnasse » n’est-il
pas une erreur ?
— M’amie, oseriez-vous accuser la reine de France de
faire une faute de français ?
— Certes, je n’oserais. Mais il me semble que
« vous voudriez que je donne » sonnerait mieux à l’oreille.
— Je ne sais, et je ne veux plus rien entendre à ce
sujet.
— La reine a-t-elle, en tout bien tout honneur, quelque
faiblesse de cœur pour Gondi ?
— Voici ce que je peux répondre. Toutes les femmes ont
un faible pour Gondi.
— Et Gondi a-t-il un faible pour le gentil sesso ?
— Ma chère, connaissez mieux les prêtres, la robe ne
les a jamais empêchés de courir le cotillon.
— Une dernière question, Monsieur, s’il vous plaît. On
dit de Gondi qu’il est coadjuteur. Qu’est-ce que cela veut dire ?
— C’est un prêtre qui est chargé d’aider un évêque dans
ses fonctions, et qui a presque toujours l’assurance de lui succéder à sa mort.
Maintenant que la reine, au lieu d’« étrangler Broussel
de ses propres mains », avait décidé de le libérer, il fallait quelqu’un
qui, au péril de sa vie, allât annoncer la nouvelle aux révoltés, car même si
la nouvelle était bonne, la mission demeurait périlleuse, le peuple
Weitere Kostenlose Bücher