Le Glaive Et Les Amours
insupportable ce petit jeu de places perdues et
reconquises, mais cela ne va pas nous empêcher de reprendre Dunkerque. Turenne,
avec une forte armée, est parti déjà pour en faire le siège. La reine, le roi,
moi-même, et vous, ajouta-t-il avec un sourire, nous les suivrons, et nous
prendrons gîte à Calais. Votre mission alors sera de traverser la Manche, afin
de rappeler aux Anglais notre alliance avec eux et de les presser de mettre le
blocus avec leurs vaisseaux devant Dunkerque. S’ils réussissent cette manœuvre,
ajouta-t-il, nous leur donnerons Dunkerque, une fois que nous l’aurons prise.
Je fus, je dois le dire, plongé dans la plus grande
perplexité quand j’appris que Mazarin donnerait Dunkerque aux Anglais, s’ils
nous aidaient à l’arracher des mains des Espagnols. Je m’en ouvris dans mon
cabinet à Fogacer devant un bon flacon de mon vin de Bourgogne, et en présence
de son petit clerc Babelon que j’évitai de regarder, de prime parce que je ne
voulais pas éveiller la jalousie de Fogacer, et aussi parce que je regrettais
une fois de plus que le Seigneur n’eût pas choisi de le faire naître fille. Il aurait
eu si peu à faire.
— En effet, dit Fogacer, c’est un sacrifice étonnant
que de donner Dunkerque aux Anglais après qu’on eut fait tant d’efforts pour
leur arracher Calais. Cependant, nous y gagnerons prou. Désormais, ce sera aux
Anglais à veiller sur notre côte Atlantique et à en écarter les flottes
espagnoles. Au fond, il nous supplée dans une défense que nous ne pouvons plus
nous-mêmes assurer, notre flotte depuis la mort de Richelieu n’ayant été ni
entretenue ni augmentée. « Bel exemple d’inconstance française »,
dirent de nous les Anglais, et là-dessus je ne leur donne pas tort.
« Cher duc, reprit Fogacer, quand donc
partez-vous ?
— En même temps que le roi, la reine-mère, le cardinal,
et pour la même destination, Calais. Turenne et son armée nous ont devancés et
ont déjà encerclé Dunkerque.
— Et Mazarin vous a-t-il dit pourquoi il vous avait
recruté ?
— Oui. Il veut que je passe de Calais à Douvres afin
d’aller trouver les Anglais et de raviver notre alliance avec eux par des
promesses précises.
— Dieu bon ! Traverser deux fois la Manche au
milieu des gros vaisseaux espagnols grouillant comme requins dans l’eau. Pour
l’amour du Ciel, ne le dites surtout pas à Catherine.
— Pour elle, je ne serai à Dunkerque que pour
interroger les prisonniers espagnols.
— Voilà le bon d’être un mari infidèle ! Il sait
mentir. Il est vrai que les Anglaises ne sauraient vous séduire. Elles faillent
fort, dit-on, en tétins.
— Babillebahou ! C’est une légende. Elles sont
aussi bien garnies que les Françaises.
— C’est donc que vous avez déjà semé vos folles avoines
dans les champs d’outremer.
— À cette question, chanoine, je ne répondrai mie, ne
voulant me confesser qu’à mon confesseur. Il est jésuite et répond avec bonté à
mes bontés.
*
* *
Lecteur, Dieu merci, Londres était toujours là, avec ses
beaux monuments, ses rues lassantes où toutes les maisons sont faites à
l’identique, ses palais magnifiques et mal chauffés, l’accueil à la fois
courtois et distant de ses habitants, et cette langue légère et élégante qui
fait le bonheur des poètes.
Ma première visite ne fut évidemment pas pour Cromwell, mais
pour My Lady Markby qui m’accueillit à bras ouverts, ce qui, dans ce cas, ne
fut pas qu’une métaphore, car elle me serra contre elle à m’étouffer. C’est
seulement quand ces furieux embrassements eurent pris fin que je pus lui conter
ma mission, et quérir d’elle ce qu’elle en pensait. Je lui contai de prime ce
que je venais faire à Londres et lui demandai si Cromwell entrerait dans mes
vues.
— Pour sa flotte, oui, dit-elle, surtout si vous lui
donnez Dunkerque. Mais je doute que vous obteniez de lui qu’il mette à votre
disposition ses « têtes rondes ».
— Et pourquoi diantre, appelle-t-on ainsi ses
soldats ? Pourquoi « les têtes rondes » ?
— Parce que, détestant la parure des cheveux, ils se
rasent le crâne par humilité puritaine. Vous pensez bien que Cromwell ne
permettra jamais à ces puritains de mettre un pied sur le sol français, de peur
que les Françaises ne se jettent aussitôt sur eux pour les dévergogner.
— Dieu bon ! Sous quel règne vivez-vous !
— Ne vous y trompez pas. L’amour
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