Le Glaive Et Les Amours
de
présider aux destinées du « saint » Empire.
— Pourquoi donc ?
— Parce qu’il a persécuté les protestants de la façon
la plus odieuse, et il eût fait pis encore s’il avait pu.
— Et qu’aviez-vous à faire à lui ?
— La France luttait depuis toujours pour lui ôter toute
influence en Lorraine. Elle avait conquis les Trois Évêchés – Metz, Toul,
Verdun – ainsi que Brisach et les landgraviats de la haute et basse Alsace à
l’exception de Strasbourg.
— C’est pitié que Strasbourg ne soit pas encore à nous.
C’est une si belle ville à ce qu’on m’a dit.
— Soyez certaine que Louis XIV y remédiera, car
c’est lui aussi un roi-soldat et il voudra parfaire l’œuvre de son père et de
son grand-père.
— Monsieur, tout à fait entre nous et sotto voce ,
approuvez-vous ces conquêtes ?
— Point du tout. Je suis néanmoins content que
Louis XIV les ait faites, parce qu’elles ont un côté à la fois défensif et
offensif, elles renforcent le royaume. Et d’autant que maugré les traités qu’on
a dits, la guerre avec le prétendu Saint Empire n’est pas finie. Belle
lectrice, avez-vous d’autres questions ?
— Si fait, mais celles-ci que j’ai conservées pour la
bonne bouche sont, comme vous diriez, « féminines » et indiscrètes.
— M’amie, vous connaissez nos conventions. Je serai
discret pour deux.
— Comment se fait-il alors, Monsieur, que Louis, qui en
son adolescence était si rebelute aux bâtards, les multiplia en son âge
mûr ?
— Parce que le grand roi n’avait plus alors pour
maîtresses que des personnes de bon lieu.
— Que voulez-vous dire par là ?
— En le langage de l’époque, « les personnes de
bon lieu » appartiennent à la noblesse. Tant est que si bâtard il y avait,
il ne pouvait être, des deux côtés, que de noble maison, et faire honneur au
roi au lieu de lui faire honte. Madame, je vous vois faire une petite grimace,
et je vous entends bien. Pour vous, un enfant est un enfant, et ces
discriminations vous choquent. Mais pouvons-nous changer l’Histoire ?
*
* *
En 1653, le royaume se trouve dans une situation
étrange : la guerre contre l’Espagne se double d’une guerre
intestine : Condé, aussi hostile au roi qu’on peut l’être, et Turenne qui
le sert. Il y avait belle heurette que Louis XIV voulait participer au
combat. Après tout, n’était-ce pas son royaume qu’on voulait mettre en
pièces ? Anne d’Autriche, longtemps rebelute, mais vivement chapitrée par
Mazarin, y consentit, et le seize juillet 1653, Louis partit au front à la tête
de troupes fraîches, et en compagnie de Mazarin que sa mère avait prié de
veiller sur lui. Louis XIV avait alors quinze ans et il était fort robuste
pour son âge, qui plus est, cavalier fougueux et infatigable. Turenne
l’accueillit en son camp de Saint-Agis, et en son honneur les canons tonnèrent,
accompagnés de salves de mousquets. Louis demanda aussitôt qu’on attaquât
l’ennemi. Turenne porta ses troupes sur la rive gauche de l’Oise, et là, sans
engager sérieusement la bataille, il escarmoucha les avant-postes de Condé.
Peux-je ajouter qu’une escarmouche est un petit combat entre avant-gardes amies
et ennemies, parfois inopiné, souvent fait pour tâter les défenses de
l’adversaire. Il va sans dire que Turenne prit bien garde de ne pas mettre le
roi ès lieux périlleux. Cependant, tant il était fougueux, Louis se porta,
malgré les défenses de son mentor, bien trop souvent en avant à la portée des
mousquets de l’ennemi.
Louis resta plusieurs mois avec Turenne, n’appétant, comme
son grand-père et son père, qu’à être un roi-soldat. Ce qu’il fut, et même un
peu trop, comme l’avenir le montrera.
Rien ne le décourageait, ni la froidure, ni la pluie. Sa
vigueur physique faisant l’étonnement de tous. Il pouvait rester quinze heures
à cheval, ce que sa suite, dont j’étais, souffrait difficilement. Certains
disaient de lui sotto voce qu’il avait « un cul d’acier ».
Louis aimait son père, mais à mon sentiment il préférait son
grand-père, ne serait-ce qu’en raison de son vif amour pour le gentil sesso. Et comme son grand-père, il aimait vivre avec les soldats, étant avec eux à
la fois autoritaire et séducteur. Mais toujours extrêmement poli et n’omettant
jamais, quand il traversait Paris en sa calèche, de saluer les Parisiens de son
chapeau, mais je crois
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