Le Glaive Et Les Amours
pas affecté
d’une maladie dont je souffris plus d’un mois.
Là-dessus, le roi me demanda si j’étais satisfait de mon
rôle au Parlement, à quoi je répondis que les parlementaires, croyant que je
somnolais à toutes leurs séances, ne se défiaient plus de moi et parlaient
librement. Toutefois, je ne retenais de leurs propos que ceux qui me
paraissaient dommageables à Sa Majesté, et de ceux-là, comme toujours, j’avais
l’honneur de lui faire part, aussi promptement qu’il était possible.
*
* *
L’occasion se présenta plus tôt que je ne l’eusse cru, car
ces messieurs du Parlement, jugeant qu’ils pouvaient agir tout à leur guise, le
roi n’ayant que dix-sept ans, remirent en discussion des édits qui n’eussent
pas dû l’être, puisqu’ils avaient été dûment enregistrés au cours d’un lit de
justice présidé précisément par le roi lui-même. Somnolant de plus belle à ouïr
cette insolente écorne au pouvoir royal, dès que la séance fut finie, je montai
mon Accla et, suivi du seul Nicolas, je galopai jusqu’à la garenne du Peq, où
je savais que le roi chassait. Sa Majesté, à ma vue, se doutant que je n’avais
galopé si loin et si vite que pour apporter une nouvelle de conséquence, me fit
signe de mettre ma monture tête-bêche avec la sienne, écouta attentivement ma
râtelée, puis sans tant languir décida de retourner à Paris chanter pouilles à
ces messieurs, ce qu’Elle fit en des termes qui me firent penser à ceux de son
père Louis XIII quand le Parlement outrepassait ses droits. Seule la
conclusion des deux mercuriales n’était pas tout à fait la même.
Louis XIII, après avoir rabroué nos beaux sires, conclut en disant avec
force : « Messieurs, ramentez-vous, je vous prie, que cet État est un
État monarchique. » Son fils, dans le même ordre de pensée, fut plus
explicite encore : « Messieurs, vous n’avez pas à empiéter sur mes
pouvoirs en vous mêlant des affaires de l’État. L’État, c’est moi. »
Mazarin, exilé volontaire en attendant que la cabale, qui
lui voulait mal de mort, finît par mettre les pouces, fut charmé d’ouïr comment
Louis avait rebuffé le Parlement. « Vous verrez, dit-il à ses amis, vous
verrez que Louis va se montrer si redoutable aux révoltés qu’il rétablira
partout l’ordre et l’obéissance. »
*
* *
— Monsieur, j’aurais quelques questions à vous poser.
— Madame, avec joie je vous ois.
— La grand merci de m’accueillir avec tant de
gentillesse. Quand on a passé trente ans, les éloges qu’une femme reçoit sont
d’autant plus rebiscoulants. Monsieur, vous ne sauriez croire comme il est
agréable d’avoir affaire à un fervent ami du gentil sesso. Tant d’hommes
sont si hautains et péremptoires à notre égard. On dirait que le fait d’avoir
un nephliseth [41] entre
les jambes leur donne d’emblée sur nous une immense supériorité.
— Et quel imbécile, dis-je, a tout d’un coup décidé
qu’à partir de trente ans une femme ne serait plus aimable ? J’ai connu,
moi qui vous parle, une haute dame à Bruxelles qui, âgée de soixante-six ans,
me plaisait plus qu’une caillette de vingt ans. Il s’agit de l’infante
Claire-Isabelle Eugénie. J’ajouterai que, si elle n’avait pas porté l’habit des
clarisses de saint François, j’eusse été tenté de la prendre dans mes bras.
— Mais vous ne le fîtes pas, préférant quelque
frétillante caillette ou peut-être même votre ronde et belle hôtesse, dont vous
ne pouviez craindre une redoutable rebuffade. J’espère, du moins, qu’en ne
touchant pas à l’infante, vous ne vous êtes pas flatté d’avoir été vertueux.
— Je ne me flatte jamais, m’amie, d’être vertueux, et
je détesterais qu’on me prenne pour un fanfaron de luxure. Mais il me semble
que la conversation prend un tour trop personnel. Ne pouvons-nous pas revenir à
nos moutons ?
— Oui-da. Monsieur, parlez-moi de grâce des traités de
Münster et d’Osnabrück en octobre 1648.
— Si vous savez leurs noms, vous savez ce qui s’y est
dit. Il serait donc inutile que je le répète.
— Oui, je le sais, mais pas aussi bien que si vous
pouviez me l’expliquer.
— Voilà qui est futé et flatteur. Mais voyons ces
traités. Ils consacrent indiscutablement nos victoires sur l’empereur
d’Allemagne.
— Qui est l’empereur d’Allemagne ?
— C’est un Autrichien, un Habsbourg, indigne
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