Le Glaive Et Les Amours
pressé par les maréchaux de La Force et
Châtillon, décida d’attaquer. Toutefois, alors que Châtillon ne lui demandait que
dix canons, le roi lui en donna trente. La reconquête de Corbie, qui nous avait
coûté tant de larmes, ne prit que deux jours : le neuf novembre 1636,
notre artillerie commença à tirer, et le dix novembre la garnison capitula.
*
* *
— Monsieur, un mot de grâce !
— Plusieurs mots, si tel est votre désir.
— Mille mercis, Monsieur. Voici ma première question.
Votre commerce avec Madame de Quercy s’est-il poursuivi tout le temps que vous
fûtes à Chantilly ?
— Question bien féminine.
— Étant femme, je n’en puis poser d’autres. Cependant,
vous ne répondez pas à ma question.
— Si fait, le lendemain même de cette nuit remarquable
et regrettable, je demandai au comte de Sault d’échanger son logis contre le
mien, ce qui le laissa dubitatif, jusqu’à ce que je lui eusse confié à mi-mot
combien Madame de Quercy était belle et chaleureuse.
« — En revanche, mon cher duc, dit-il, laissez-moi
vous dire que je loge avec une vieille dame charmante qui me dorlote à
l’infini, mais pour tout dire elle est aussi insufférablement bavarde.
« — Cela est très bien ainsi. J’ouïrai ses propos
jusqu’à la fin du monde.
Ma résolution prise, mais n’osant affronter Madame de Quercy
au bec à bec, je lui laissai au départir une lettre lui annonçant que le roi me
changeait de cantonnement à mon grand dol et regret. Je devais donc hélas la
quitter. « Cependant, ajoutai-je, vous ne vous trouverez pas seule. Mon
remplaçant, le comte de Sault, est un parfait gentilhomme et je suis bien
assuré qu’il vous plaira. »
Ayant non sans peine rédigé ce poulet, je profitai d’une
absence de la belle pour départir, en lui laissant ma missive sur sa coiffeuse.
Je quittai donc Madame de Quercy, mais non sans dépit et
regret, tant me paraissait ingrat, stérile et désolant l’exercice de la vertu.
CHAPITRE IV
La guerre était à peine, sinon finie, du moins apazimée, que
les « brouilleries du dedans », comme disait le roi,
recommencèrent à l’accabler. La Dieu merci, les griffes et les crocs de la
terrible reine-mère avaient été rognés par un exil perpétuel. Mais Gaston, lui,
était toujours là avec ses disparitions soudaines, ses bouderies irraisonnées,
ses départs à l’étranger, ses exigences à l’infini.
Anti-espagnol, il s’était fort bien conduit pendant la
guerre. Par la male heure, on lui avait adjoint le comte de Soissons, bâtard
royal. Le cardinal ne tarda pas à se mordre les doigts de ce choix malheureux.
Car c’était là deux poussins de la même couvée, ambitieux, turbulents, et
insatiables en leurs exigences de terres et de pécunes.
Soissons eût trouvé naturel d’être pour le moins assis sur
les marches du trône. Et Gaston, frère cadet d’un roi sans dauphin, aspirait
impatiemment à le remplacer. Quant à la reine régnante, Espagnole de sang et de
cœur, elle faisait des vœux pour la défaite du pays dont elle était la reine.
Ce trio calamiteux partageait la même ardente haine contre le cardinal le
considérant, d’ailleurs à juste titre, comme le vivant rempart du roi. Tant est
qu’à force de le haïr, ils conçurent l’idée de l’assassiner. Cependant, bien
que de cœur avec eux, la reine ne joua aucun rôle dans le projet que conçurent
Soissons et Gaston. Ce ne fut de reste pas à Paris, mais à Amiens, et en pleine
guerre, que devait s’accomplir l’assassinat. L’affaire paraissait à vue de nez
bien conçue, puisqu’elle tirait parti d’une disposition protocolaire : là
où se trouvait le roi, seule sa garde personnelle avait le droit d’être là.
Autrement dit, le cardinal ne pouvait, dès lors, être entouré et protégé par sa
propre garde. Or, à Amiens, le roi tenait habituellement Conseil en l’hôtel de
Monsieur de Chaulnes, gouverneur de la Picardie. Le Conseil terminé, le roi
quittait l’hôtel, accompagné de sa garde, Richelieu le suivant, mais sans être
lui-même gardé, et s’attardant à saluer les personnes qui étaient là. C’est à
ce moment précis, alors qu’il était isolé au milieu de la foule, que trois
gentilshommes appartenant à Gaston devaient fondre sur lui, l’immobiliser et le
percer de leurs poignards. Or, il était convenu que le signal de l’assaut, qui
était des plus simples, devait être donné par un
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