Le Glaive Et Les Amours
j’aimerais la compléter en disant qu’en ce qui me concerne, je ne
voudrais pas que ma visite quotidienne au roi fût la seule que je fasse au
Louvre.
— Monsieur, dit-elle, vous vous exprimez avec une
gentillesse qui me conforte dans l’espoir que je nourris, et qui est bien
naturel chez deux amis, de vous voir plus souvent.
Je mis alors un genou à terre et lui baisai la main, puis me
relevant et regagnant ma chaire à bras, je me répétai derechef la phrase de
saint Augustin sur « le seuil lumineux de l’amitié », lequel a
ceci de dangereux qu’il pouvait être « dépassé ».
— M’amie, dis-je, à peine ai-je mis le pied au
Louvre que j’entends bruire des propos étranges sur la trahison de la reine.
— Hélas, dit-elle, il s’agit, en effet, de trahison.
Mais celle-ci n’est pas personnelle, elle est plus grave : c’est une
trahison politique.
— Politique !
— Hélas, on n’en peut plus douter ! Avant la
guerre et pendant la guerre, la reine a transmis à l’Espagnol tous les
renseignements qu’elle a pu glaner sur notre préparation et sur nos armées.
— C’est damnable !
— Et c’est aussi très puéril, car depuis le complot
criminel de Chalais contre le roi – qu’elle connaissait, mais ne dénonça pas –
la reine aurait bien dû penser qu’elle était surveillée de près par la police
du cardinal, laquelle découvrit en effet qu’elle correspondait en catimini avec
la duchesse de Chevreuse.
Lecteur, il ne se peut que tu ne te rappelles cette
« chevrette », comme disait le roi, lequel l’avait exilée à la parfin
à Couzières en Touraine pour la punir de ses infinies intrigues contre
lui-même, le cardinal, et la politique qui était la leur.
Parmi toutes les cabales qui s’étaient dressées contre
ladite politique : celle des dévots, celle des Grands, et celle des
« Espagnols », « la cabale des vertugadins diaboliques »,
inspirée et dirigée par la chevrette, fut la plus insidieuse, et se peut aussi
la plus dangereuse. Par malheur, la chevrette était fort amie de la reine qui
ne pensait que par elle.
Or, la chevrette, exilée à Couzières, n’était nullement
repentante, et continuait à correspondre avec l’Espagne par le canal de ses
amis anglais. Le cardinal soupçonnait la reine elle-même de n’avoir pas cessé
tout rapport avec la chevrette. Et il s’avisa un jour d’une circonstance
insolite. La reine allait faire souvent ses dévotions en petit équipage au
couvent du Val-de-Grâce et avait de longues conversations avec la mère
supérieure. Le cardinal se douta bien qu’il ne s’agissait pas de clabauderies
d’oiselles « pipiotant dans les ramures ».
Il soumit alors la mère supérieure à un interrogatoire
sévère, et le couvent lui-même à une fouille serrée. Il ne trouva rien, ce qui
ne prouvait rien non plus. On a de l’ordre dans les couvents.
Néanmoins, la reine était fort suspecte. Or, elle avait la
tête si légère et si enfantine qu’elle pensa qu’elle pourrait passer au travers
des filets du cardinal. Dans son aveuglement, elle écrivit de sa main une
lettre, et à qui ? Dieu bon ! à qui ? sinon à Mirabel !
Le marquis de Mirabel, gentilhomme espagnol de grand talent,
dont il a été question dans ces Mémoires au moment où il était ambassadeur
d’Espagne à Paris, quand il quitta ce poste, devint premier ministre de
Philippe IV d’Espagne, qui le donna ensuite comme second, et un second
fort précieux, au cardinal-infant qui gouvernait, comme il pouvait, les
Pays-Bas espagnols.
La reine, après avoir écrit sa lettre à Mirabel, sentit bien
toute l’audace de son entreprise et elle imagina, pour acheminer la lettre, un
itinéraire compliqué. Elle la confia de prime à son fidèle portemanteau, lequel
la devait confier à son tour à un nommé Augier, résident anglais à Paris,
lequel devait aller à Bruxelles la remettre personnellement entre les mains de
Mirabel. Le portemanteau de la reine s’appelait La Porte. Valet de haut rang,
il ne portait pas que le manteau de Sa Majesté. Il lui rendait mille et un
services, étant à Elle passionnément attaché au point qu’on disait, chez le
domestique de Sa Majesté, qu’il était d’Elle quasiment amoureux.
La Porte, dont la police suivait tous les mouvements, fut
arrêté à la parfin au moment où il entrait chez Augier qui était lui-même
suspect de sympathies espagnoles. Ce qui se passa ensuite me
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