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Le Glaive Et Les Amours

Le Glaive Et Les Amours

Titel: Le Glaive Et Les Amours Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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effet, pourquoi diantre
attaquer ? Pourquoi faire tuer les nôtres inutilement ? Le fruit est
mûr. Il n’est que d’attendre. Il va tomber de soi dans notre gibecière.
    Et en effet, le lendemain, le Marqués de Mortare qui
commandait la place demanda à parlementer. Monsieur de La Meilleraye me pria de
prendre langue avec lui. Le bec à bec fut fort bref. L’Espagnol demanda, pour
capituler, la lune. Je la lui refusai et je lui posai une condition. Ils
laisseraient sur place leurs canons et sortiraient du château la vie sauve avec
armes et bagues, mais sans rien détruire ni brûler à leur départir. S’ils ne
respectaient pas ces conditions, ils seraient poursuivis et taillés en pièces.
El Marqués tâcha de discuter encore, mais je me clouis comme une huître, et
quand il eut fini son discours (et Dieu sait si la langue espagnole se prête
bien à l’éloquence) je lui réitérai sèchement nos conditions, en ajoutant que,
s’il les discutait encore, je romprais les chiens.
    Il s’inclina alors et m’adressa une dernière prière. Il
demanda, quand les siens sortiraient de la ville, que nos soldats ne les
accablent pas de propos fâcheux et mal sonnants. Raison pour laquelle, une
heure plus tard, el Marqués de Mortare et ses soldats sortirent du château
entre deux haies formées par nos Suisses, soldats consciencieux et polis à qui
il ne viendrait même pas à l’esprit de dauber des ennemis vaincus.
    Collioure, occupée par nos soldats, et la flotte espagnole
de la Méditerranée tenue en respect par la nôtre, Perpignan n’était plus
ravitaillée. Et l’opinion du roi et des maréchaux fut unanime : la ville,
une fois encerclée par nos troupes, il n’y aurait plus qu’à attendre que la
famine vînt à bout de ses habitants. C’était là le bon sens même, et un bon
sens qui coûterait peu en vies humaines, du moins celles des nôtres, car la
famine allait ronger effroyablement les deux peuples assiégés.
     
    *
    * *
     
    — Monsieur, pourquoi dites-vous les deux peuples ?
Je n’en vois qu’un.
    — Nenni, belle lectrice. Les Espagnols formaient la
garnison de la ville, et une garnison fort bien garnie en mousquets, canons,
poudre et mèches. Mais la ville était en majorité catalane.
    — Que venaient faire ici les Catalans ?
    — Ils fuyaient l’Espagnol qui leur avait rogné leurs
libertés et les écrasait de ses taxes. Autant dire que l’Espagnol se battait
pour garder Perpignan au roi d’Espagne, tandis que les Catalans souhaitaient du
bon du cœur la victoire des Français.
    — Et qui commandait la garnison espagnole ?
    — Deux hommes, l’un, Flores d’Avila, était un hidalgo
de bonne lignée, humain, généreux, aussi doux que son nom. L’autre, Diego
Cavallero, qui s’arrogea brutalement tout le pouvoir, était une bête brute,
orgueilleuse et sanguinaire. Pour mettre les soldats espagnols de son côté, il
leur lâcha la bride en leur donnant ce qu’il appelait « la liberté de
conscience ». Cette « liberté de conscience » incluait le
forcement des filles, la picorée des maisons, les battures et frappements des
hommes et des enfants. Cavallero n’avait pas plus de considération pour les
consuls de la ville, et comme ils lui résistaient, il leur jura que s’ils
s’obstinaient, il ferait sonner le tocsin, signal qu’il avait donné à ses
soldats pour le massacre général de tous les habitants. Et ils l’eussent
accompli, j’en suis bien assuré, tant ils étaient dénués de toute humanité.
Jugez-en. Le matin, au moment où les béjaunes et caillettes se rendaient à
l’école, les soldats les arrêtaient, et le couteau sur la gorge, leur
arrachaient le quignon de pain que leurs parents leur avaient baillé pour leur
unique repas.
    « Les religieuses, à qui les soldats avaient enlevé
toutes leurs provisions, allèrent crier famine auprès de Cavallero. Il se
contenta de leur dire : « Vous n’avez plus de pain ? Mangez donc
des cailloux. »
    « Il y avait longtemps déjà que chevaux, chats et
chiens avaient été dévorés. Chacun avait encore bien caché une petite provision
de blé, mais malheur à qui se rendait à l’unique moulin de la ville, les
soldats leur arrachaient les grains de blé des mains et les dévoraient sans les
moudre. Aux soldats blessés ou malades qu’on avait entassés dans les hôpitaux,
on donna des soupes de plus en plus claires, et quand ce ne fut plus que de
l’eau, ils mangèrent leurs

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