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Le Glaive Et Les Amours

Le Glaive Et Les Amours

Titel: Le Glaive Et Les Amours Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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paillasses.
    « Les nouveau-nés mouraient sur le sein tari de leurs
mères. Il n’y eut plus de famille : père, mère, enfants se disputant comme
des chiens sauvages la plus humble pitance. Bientôt on ne laissa plus sortir
les enfants hors les maisons barricadées, car ils eussent risqué d’être
enlevés, tués et mangés. Les rues étaient jonchées de mourants squelettiques et
ceux qui marchaient encore titubaient, la main appuyée sur le mur pour ne pas
choir. Sur toute la ville pesait une odeur de charnier et peu de gens osaient
encore sortir de leurs maisons, et s’ils en sortaient, ils se bouchaient le nez
avec leurs mouchoirs. Par bonheur, aucun cas de peste ne fut signalé.
    « Au début du siège, quand ils tenaient encore sur
leurs jambes, les Espagnols avaient tenté quelques sorties par le plus large de
leur huis, tant est que devant lui nous avions construit une redoute.
    — Monsieur, qu’est-ce qu’une redoute ?
    — Une redoute est un ouvrage fortifié, de forme carrée,
son entrée est dérobée, une face seulement est crénelée et armée de canons pour
faire face à l’huis principal d’une ville assiégée et empêcher les ennemis de
tenter une sortie.
    — Et la tentèrent-ils ?
    — Oui, une fois, avant qu’on eût construit la redoute.
Ils subirent beaucoup de pertes même alors, et nous eûmes des prisonniers,
lesquels se trouvèrent tout soudain les plus heureux des hommes.
    — Et pourquoi cela ?
    — Parce que La Meilleraye leur donna la même ration que
nos soldats. Tant est qu’à la fin du siège, ils étaient plus gras qu’au début.
    — Et le roi, où se trouvait-il ?
    — Il avait trouvé à se loger à Saint-Estève, dans la
métairie d’un nommé Joan Pauques, qui en tira une grande gloire et le village
aussi, lequel d’ores en avant appela ladite métairie el Mas del Rey.
     
    *
    * *
     
    C’est là que je portais au roi quasi quotidiennement les
comptes rendus secrets sur le siège que le maréchal de La Meilleraye rédigeait
pour lui. Dans le mas, ou sur la terrasse, selon que soufflait ou non la
tramontane, le roi était couché sur un lit de camp. Bien que son état eût
empiré, il ne se plaignait mie. Le ventre lui doulait fort et il avait la
fièvre, laquelle on combattait par la quinine des jésuites, la seule drogue qui
le soulageât. Presque à chaque visite il me répétait que peu lui chalait s’il
mourait céans ou dans ses palais : ce qui à la longue me donna à penser
que, bien au rebours, il aspirait de toutes ses forces à pousser son dernier
soupir dans le décor royal du Louvre, plutôt que dans l’humble mas d’un paysan.
Mais il noulait partir, disait-il, avant que Perpignan capitulât, et sans la
fierté d’avoir arraché à l’Empire et l’Artois et le Roussillon. Cependant, son
état empirait. Il n’avait plus les moments de rémission qui lui avaient permis
un mois plus tôt de monter à cheval et de chasser. Il passait ses journées
étendu sur son lit de camp, et pouvait à peine manger. Mais il rejetait les
plus pressantes prières de son entourage qui l’engageait à regagner sa
capitale, comme je l’ai dit déjà. Je l’allais voir tous les jours. En fait, il
avait besoin de ma présence plus que de ma conversation. Après de longs
silences, il me demanda à la parfin de récapituler ses campagnes en Italie, à
La Rochelle, en Lorraine, en Artois et maintenant en Roussillon. En fait, il
les connaissait beaucoup mieux que moi et corrigeait, non sans plaisir, mes
erreurs. Je trouvais assez pathétique qu’il fît ainsi le bilan de sa vie, en
s’assurant auprès d’un de ses sujets qu’elle n’avait pas été vaine et qu’il
avait fortifié et agrandi la France.
    Il fallut que la nature s’en mêlât pour lui arracher sa
décision de rentrer à Paris. Le mois de juin fut, en effet, si torride qu’il ne
put résister à une chaleur pour lui si inhabituelle, et il décida de lever le
camp. Je fus de ceux qui, dans leurs propres carrosses, accompagnèrent la
sienne. Aux étapes, il lui arriva de demander à Monsieur de Guron ou à moi-même
de lui tenir compagnie. Il ne garda pas Monsieur de Guron plus d’une heure. Sur
ce qui s’était dit entre le roi et lui-même, Monsieur de Guron resta bec cousu,
et comme je l’interrogeais sur la santé du souverain, il me dit :
« Duc, vous verrez vous-même, il va vous appeler. » Et en effet, à
l’étape suivante, le maggiordomo royal me vint

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