Le Glaive Et Les Amours
c’était le prix d’un pot dans ce
pays où le vin était si bon marché, et les laisser en plein air c’était tenter
le diable. Quant à la pipe, ils la partagèrent fraternellement, l’ayant à eux
deux si bien culottée qu’à l’intérieur on ne voyait plus de bois du tout. Et
ils y tenaient tant que ce serait un gros crève-cœur de la laisser là, toute
bien cachée qu’elle fût par une grosse pierre. Ils s’y décidèrent néanmoins, le
couillu ayant promis que si on la leur volait, il irait tout dret au maréchal
de La Meilleraye pour lui demander de leur compenser une perte qu’ils avaient
faite au service du roi.
La pipe qu’on avait laissée là par négligence, après la pose
du pétard, fut volatilisée par l’explosion et La Meilleraye, hautain et
chiche-face, refusa de rembourser les fantômes. Tant est que ce furent les
camarades de nos deux compains qui se cotisèrent pour une pipe fort belle, qui
fut l’honneur du régiment. Après les « fantômes », ce fut le tour de
mes deux charrons d’intervenir pour creuser le trou où l’on placerait le lourd
pétard pour éclater le mur. En réalité, n’étant pas soldats, ils eussent pu
fort bien refuser leur concours, mais ils tinrent à l’honneur d’aller jusqu’au
bout du projet puisqu’ils l’avaient eux-mêmes suggéré, alors que d’aucuns ne le
croyaient point possible. Toutefois je noulus qu’ils allassent seuls ès lieu si
périlleux, et à ma demande le maréchal de La Meilleraye leur adjoignit deux
soldats pour les couvrir et leur faciliter leur retraite au cas où ils seraient
surpris.
Pour mes charrons, ce trou dans le mur fut à la fois le
martyre et la gloire de leur vie. Car ils devaient creuser la pierre en faisant
le moins de bruit possible, ce qui ralentissait prou leur travail, et du même
coup augmentait leur fatigue. À la parfin ils en vinrent à bout. C’était maintenant
la tâche d’un artificier d’introduire dans le trou ce puissant pétard que nous
possédions et d’y mettre le feu à la mèche, et vous ne sauriez croire, lecteur,
combien longue fut cette mèche, tant l’artificier craignait que, maugré la
rapidité de sa retraite, un éclat de roche lui tombât sus. À la parfin, il
trouva un petit muret derrière lequel il se protégea. Il battit alors son
briquet, et le cœur lui doulait quand il mit le feu au bout de la mèche. Ses
yeux émergeant à peine au-dessus du muret qui le protégeait, il suivit le lent
progrès de la flamme, craignant à chaque seconde qu’un coup de vent ne
l’éteignit. On n’avait pas lésiné comme j’ai dit sur la grosseur du pétard, et
l’explosion fit un bruit à vous assourdir pour le reste de vos terrestres jours.
Le mur s’écroula sous nos yeux, projetant des pierres énormes de tous côtés.
Au Conseil qui suivit, un rediseur au service du cardinal,
qui à la faveur de l’affolement avait pu saillir du château, nous vint annoncer
que le pétard avait tué une vingtaine d’assiégés, et que si les survivants
voulaient réparer le mur, ils perdraient davantage encore, étant exposés à nos
feux. Là-dessus, le maréchal de La Meilleraye rassembla les colonels généraux
de l’infanterie et le grand-maître de l’artillerie pour leur demander quelle
serait la suite qu’il fallait donner à l’explosion du mur. Bien que n’ayant
aucun grade dans l’armée, j’avais été moi aussi convoqué en tant que futur
plénipotentiaire et truchement auprès du Marqués de Mortare qui commandait les
troupes espagnoles du château.
Les colonels généraux de l’infanterie proposèrent une vive
attaque de ladite infanterie par la brèche que notre artillerie venait de
pratiquer et, avant cette attaque, ils suggérèrent une préparation d’artillerie
faite de tous les feux de nos canons.
— Duc, me dit le maréchal, que pensez-vous qu’on doit
faire ?
— Monsieur le Maréchal, dis-je, je ne suis pas soldat,
mais il me semble que le bon sens voudrait que le château capitule et qu’il
vaut mieux attendre sa capitulation plutôt que de perdre des hommes en vain.
Avec une telle portion de son mur détruit et la flotte espagnole ayant fort à
faire à repousser les attaques de la nôtre en Méditerranée, il me semble qu’il
faut traiter.
— Messieurs les colonels généraux, dit alors La Meilleraye,
Monsieur le duc d’Orbieu, qui n’est point colonel général, vient de nous donner
une belle leçon de stratégie militaire. En
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