Le Glaive Et Les Amours
égratignure.
— La grand merci, Madame. Mais une question
encore : êtes-vous si grande ennemie des hommes ?
— Mais point du tout ! Je suis d’eux aussi
raffolée qu’une femme peut l’être, et qu’un homme peut l’être aussi, du gentil
sesso, et pour peu qu’ils me plaisent, et ne soient ni brutaux ni
arrogants, je leur rends les choses aussi faciles que mon inclination m’y
porte. Mais venez, duc, il se fait tard et il serait temps que le sommeil nous
dorme.
Ce « nous » sonnait très joliment à mon oreille,
et c’est le cœur battant que je montai à sa suite les marches qui conduisaient
aux chambres. Elle me montra la mienne qui jouxtait la sienne, et décrochant le
poignard qui pendait à sa ceinture, elle me le tendit avec un sourire et
dit :
— Duc, prenez mon arme en gage, s’il vous plaît, vous
serez ainsi rassuré sur mes intentions, d’autant que ni ma chambre ni la vôtre
ne ferment à clef ou au verrou. Pour moi, sans poignard, me voilà comme place
démantelée, mais cela ne m’effraye pas. Je suis certaine que cette nuit vous
m’allez garder de près.
*
* *
Dès que l’aube « aux doigts de rose », comme dit
Homère, se leva le matin, je regagnai ma chambre, je me jetai sur mon lit, et
ne pouvant dormir, je me livrai à ce que les prêtres appellent un examen de
conscience. Plus précisément, je mis en question les règles qui ont été
édictées par mon Église, sans qu’aucun texte biblique ou évangélique ne les
puisse justifier. Par exemple, le célibat imposé aux prêtres qui, à mon
sentiment, les déshumanise et les place en dehors des problèmes qui assaillent
les humains. De toute façon, le sexe ne se laisse pas faire si facilement. Et
privé de ses voies légitimes, emprunte parfois chez les prêtres les moins
naturelles et développe la bougrerie : fléau célèbre dans l’Église, mais
que par peur du scandale elle étouffe plutôt qu’elle ne le punit. Et n’y a-t-il
pas aussi quelque plaisante chatonie dans le fait de prescrire que la servante
d’un curé devra avoir « l’âge canonique », c’est-à-dire l’âge auquel
une femme, sans renoncer au plaisir de l’amour, ne peut plus avoir d’enfant…
Certes, j’entends bien que le Décalogue a raison quand il
prescrit qu’un homme ne doit pas convoiter la femme de son voisin. Mais si mon
voisin meurt, ne peux-je trouver du charme à ma voisine ? Reste le
problème de la fidélité, et là, lecteur, je bats humblement ma coulpe, car j’ai
bel et bien péché en cette grisante nuit, et je me sens ce matin la conscience
bien chiffonnée à l’égard de ma Catherine qui ne mérite pas cette trahison, si
brève qu’elle fut. Parfois, certes, je suis tenté de mettre le Ciel en accusation
en lui demandant pourquoi il m’a donné à ma naissance un amour si fervent du gentil
sesso qu’au premier chant d’une sirène, je plonge dans l’eau pour la
rejoindre, au risque, comme le veut la légende, de me noyer.
Nicolas me sortit de ces pensées, qui peut-être n’étaient
pas tout à fait orthodoxes, en toquant à l’huis aux matines. Il m’annonça que
Louis avait ordonné le branle-bas, et que le département devait avoir lieu dans
une heure. Cet ordre fut transmis à mon escorte qui dormait dans les neuves
écuries, et aux chambrières et cuisinières qui nous firent aussitôt un copieux
déjeuner. Quant à la marquise, elle me fit appeler dans sa chambre, où, plutôt
dévêtue que vêtue par sa robe de nuit ajourée, elle achevait, s’étant déjà
pimplochée, de se testonner les cheveux avec l’aide d’une chambrière qu’à ma
vue elle renvoya. Puis, se jetant alors dans mes bras, elle voulut de force
forcée que je la prisse pour la dernière fois. Ce qui me toucha fort, mais me
priva du déjeuner dont il ne restait plus une miette, lorsque je fus appelé par
l’ultime sonnerie, et dus me mettre à jeun en selle sur mon Accla, car dans la
zone des combats les carrosses étaient reléguées en queue de l’armée.
Mon Accla, que j’avais bichonnée, câlinée et caressée la
veille à son cœur content dans l’écurie de la marquise, hennit joyeusement à
mon entrant dans l’écurie en ce clair matin, de prime parce que je l’allais
monter, et surtout parce qu’elle allait s’éloigner des autres chevaux qui se
trouvaient là et qui d’évidence n’appartenaient pas, comme elle, à la noblesse
chevaline, et l’irritaient au dernier point par
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