Le Glaive Et Les Amours
lui conféra des lettres de naturalité et
lui confia diverses missions dont Mazarin s’acquitta à merveille. Louis demanda
alors pour lui au pape la dignité cardinalice, ce que le pape, cette fois,
n’osa refuser. Pauvre Barberini, qui, à cette nouvelle, pataugea dans la mare
des jalouses aigreurs.
*
* *
Dès que Mazarin fut nommé premier ministre par la reine, je
repris l’habitude à laquelle j’avais été si fidèle au temps de Richelieu.
J’allai le voir tous les matins aux fins de quérir de lui s’il n’avait pas une
mission à me bailler. Bien que cette démarche parût très naturelle, beaucoup de
personnages boudaient encore Mazarin. Les uns parce qu’il était Italien, et les
autres parce qu’il avait été nommé par une femme : deux raisons aussi
niquedouilles l’une que l’autre.
Le cardinal Mazarin entendit dès ma première visite que je
le servirais aussi fidèlement que j’avais servi Richelieu, et il m’en sut le
plus grand gré. Pour moi, je gagnai fort à son contact, car autant Richelieu
avait été, en ses rapports avec ceux qui le servaient, escalabreux et
malengroin, autant je trouvais Mazarin charmant, poli, et très ménager des
sensibilités d’autrui.
Il me donna comme première tâche de réorganiser avec Monsieur
de Guron le réseau des rediseurs et des rediseuses qui avaient si bien servi
Richelieu et qui depuis sa mort s’étaient quelque peu dispersés, ne recevant
plus ni urgente mission ni récompensantes pécunes. Je trouvais le projet très
opportun et je résolus d’inviter à déjeuner Monsieur de Guron, et faute de lui
pouvoir dépêcher Nicolas qui se soignait comme on sait à Orbieu, je lui envoyai
mon petit vas-y-dire, que Mariette avait surnommé « Tartine », parce
que, non content d’être payé par moi, il lui demandait à chaque mission un
morceau de pain. Bravette caillette qu’elle était, comme elle fut toujours, et
veuve sans enfant, non seulement Mariette lui baillait le pain, mais le
beurrait sans chicheté, tout en exigeant de lui qu’il se décrassât au préalable
de la tête aux pieds. Ce qu’il fit avec quelque réluctance, craignant d’être
daubé par ses amis des rues et accusé par eux de faire le hautain.
En fin de compte, Tartine finit par entrer tout à plein dans
mon domestique, et il fut hébergé, nourri et vêtu par nous. Comme il était
orphelin et ne connaissait ni son nom ni son prénom, on lui demanda de choisir
à tout le moins un prénom. Après réflexion, il choisit Lazare. Et quand on lui
demanda la raison de ce choix, il répondit tout à trac : « Avec un nom
pareil, Monseigneur, quand je serai mort, je serai sûr d’être
ressuscité. »
Quand je quittai Mazarin et retrouvai les galeries du palais
grouillant de pimpreneaux et de pimpésouées, mes pas me portèrent de soi vers
l’appartement de la princesse de Guéméné.
Je toquai à l’huis, et comme on tardait à déclore, je
craignis que la princesse ne fût demeurée en sa maison des champs à
Saint-Nom-la-Bretèche, le temps étant si beau pour la saison. La Dieu merci, il
n’en était rien. Un valet apparut, me vit, et se tourna d’un pas vif pour aller
quérir le maggiordomo, lequel survint avec une lenteur due à la fois à
sa bedondaine et à son importance. La princesse, dit-il, était encore dans son
lit, mais comme elle n’était pas mal allante, il ne doutait pas qu’elle ne me
reçût. Ceci fut dit majestueusement, subjonctif compris. L’instant d’après, je
fus admis dans le saint des saints, et je vis la princesse, pimplochée à ravir,
gracieusement allongée sur son lit dans un peignoir de soie si ravissant qu’il
valait bien la plus belle des robes.
— M’ami, dit-elle, maugré l’exemple de notre reine
vénérée, je ne m’apparesse pas au lit, comme vous pourriez le croire, mais
parce que je doulois d’une petitime lassitude que votre présence va sans doute
dissiper. De grâce, ôtez vos vêtures et venez me rejoindre derrière les
courtines, nous serons mieux pour parler.
Mais parler, c’est ce que nous ne fîmes pas de prime, car
nos enchériments nous emportèrent en des ravissements qui exclurent toute
parole articulée.
— M’amie, dis-je, quand nous revînmes du paradis sur
terre, vous qui connaissez le monde entier, que pensez-vous du cardinal de
Mazarin ?
— Le plus grand bien.
— Voulez-vous dire qu’il est bel homme ?
— Il l’est, mais cela ne suffirait pas à lui
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