Le Glaive Et Les Amours
assurer
mon estime. Il a une foule d’autres qualités qui font de lui le parangon de la
Cour.
— Dieu bon ! Dois-je être jaloux ?
— D’un cardinal ? Vous vous moquez !
Oyez-moi, de grâce, et vous serez de mes dires convaincu. Mazarin est
courageux, comme il l’a montré devant Casal. Il a une puissance de travail au
moins égale à celle de Richelieu. Il a beaucoup d’esprit et du plus pénétrant.
Il est tenace dans ses entreprises et trouve toujours des solutions ingénieuses
aux problèmes les plus délicats. Étant Italien, quoique Français de cœur, il
n’a pas la moindre parenté, Dieu merci ! avec les Grands de ce royaume. Il
fuit les cabales. Il n’appartient à aucun clan, ce qui lui a permis de servir
le roi et Richelieu, et eux seuls. Il s’est épris, en tout bien tout honneur,
de la reine, et il l’a attachée à lui par d’innombrables cadeaux apportés
d’Italie : gants, éventails, eau de toilette et parfums, présents dont la
reine était raffolée. Mazarin, il va sans dire, est d’une politesse exquise. Il
fuit tout ce qui pourrait dégénérer en querelle. Mieux même, il pardonne les
mauvais procédés, et n’a de cesse qu’il ne désarme ses ennemis par la douceur
et la conciliation.
— Il n’est pas sûr, m’amie, que dans la tourmente qui
se prépare, la conciliation soit la meilleure méthode qu’on puisse opposer aux
trublions de tout poil dont nous allons souffrir. Rappelez-vous, de grâce, que
si le royaume n’a pas jusqu’ici sombré sous les complots et cabales, on le doit
à la rigueur de Richelieu et à la justice implacable du roi. Et je doute que la
douceur soit la meilleure réponse aux agitations qui fermentent et bouillonnent
autour de la régente.
— Et de son ministre bien-aimé, dit alors la princesse.
— Bien-aimé ? Mais que dites-vous là,
m’amie ?
— J’ai appris que lorsque la reine a abandonné le
Louvre pour vivre dans le palais cardinal, elle a attribué à Mazarin un
appartement tout proche du sien.
— N’est-ce pas naturel que la reine, effrayée par son
nouveau rôle, veuille avoir à proximité son meilleur conseiller ?
— Deuxième remarque, poursuivit la princesse. Quand, en
octobre, Mazarin est tombé malade, la reine a montré la plus grande anxiété,
elle lui a rendu visite plusieurs fois par jour, et souvent dans les larmes.
— Derechef, quoi de plus naturel ? Elle craignait
de perdre son sage mentor.
— Nos pimpésouées de cour ne voient pas les choses
ainsi.
— Elles les voient à leur niveau, m’amie, c’est-à-dire
assez bas. En réalité, l’ultime ambition de Mazarin étant de devenir pape, il
ne serait pas si fol que de salir sa dignité cardinalice par une intrigue scandaleuse.
— Donc, point d’amourette ?
— Nenni, mais de part et d’autre, la plus tendre
affection.
CHAPITRE XII
— Monsieur, un mot de grâce !
— Belle lectrice, avec joie je vous ois, mais toutefois
je m’étonne. À peine ai-je terminé de tailler ma plume et d’aiguiser mes
mérangeoises pour écrire le premier mot du chapitre XII, que vous voilà en
chair et en os – la première enveloppant gracieusement les seconds – et prête à
me poser de pertinentes questions sur ce que je n’ai pas encore écrit.
— Monsieur, de grâce, ne me daubez pas. J’ai fort bien
senti combien la mort du roi et celle de Richelieu vous avaient chaffourré de
chagrin, et je ne suis venue céans que pour me condouloir avec vous de cette
irréparable perte. Il ne m’échappe pas non plus que vous êtes dans un grand
tracassement sur l’avenir qui attend le royaume, craignant qu’il ne se délite
et ne se démantèle, maintenant que les deux fortes colonnes qui soutenaient
l’État se sont écroulées.
— En effet, j’ai nourri cette crainte, mais je ne l’ai
plus, car à’steure, sur terre comme sur mer, nos armées remportent partout
d’éclatants succès.
— Cela paraît très étonnant, et comment
l’expliquez-vous ?
— Apparemment, nous cueillons aujourd’hui les fruits
des arbres que le roi et Richelieu ont plantés. Louis a magistralement
réorganisé notre armée. Et Richelieu a créé de toutes pièces une marine, l’a
dotée en canons et en marins bretons (les uns et les autres excellents) et a
nommé à sa tête, non point de ces Grands qui croient tout savoir sans en avoir
rien appris, mais son brillant neveu, Maillé-Brézé, lequel fit merveille.
Dois-je vous
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