Le Glaive Et Les Amours
Mais elle est toujours aussi charmante et coquette, et elle
aime toujours autant les hommages. Elle a quelques petits défauts dont la Cour
évidemment se gausse : elle est très indolente et ne se lève jamais avant
dix heures du matin. Après la repue de midi, elle feint d’oublier qu’il ne fait
pas aussi chaud à Paris qu’à Madrid et fait encore une longuette sieste. Bien
que molle en ses habitudes, elle ne manque toutefois pas de hauteur et ne
souffre pas d’être contredite. Dès lors qu’on s’oppose à son dire ou à sa
volonté, elle se met à hurler d’une voix suraiguë qui retentit jusque dans les
galeries du palais. Elle est aussi très pieuse et prie plusieurs heures par
jour dans son oratoire, bien que sa piété ne lui ait jamais appris patience,
tolérance, et moins encore humilité. Comme dit méchamment Fogacer, la quantité
des prières ne remplace pas la qualité. Toutefois, elle a le cœur assez bien
placé et consacre plusieurs heures par semaine à des œuvres de charité.
J’ai conté en ces Mémoires que, déserteuse à sa patrie et traîtreuse
à son roi, elle n’était devenue Française que lorsqu’elle accoucha du futur roi
de France. Elle adora d’autant plus Louis Dieudonné qu’elle avait désespéré,
après tant d’avortements, de mettre jamais au monde un enfant. Et elle fut
comblée quand, deux ans plus tard, elle accoucha d’un second fils, Philippe.
À sa naissance, Philippe fut déclaré duc d’Anjou, mais on
s’en souvient, le populaire, lui, lui donna un autre nom, beaucoup plus
pittoresque [36] .
Le dix-huit mai 1643 fut un jour venteux, pluvieux et
fracasseux, mais fut aussi un jour de grande conséquence pour l’avenir du
royaume. La reine annonça urbi et orbi qu’elle avait choisi pour premier
ministre et président du Conseil de régence, le cardinal Mazarin.
Il m’était arrivé de l’encontrer plusieurs fois à la Cour et
d’admirer à la fois sa prestance, son esprit et aussi sa gentilezza italienne, toujours prête aux compromis et à la conciliation. Aussi, me
sentis-je fort heureux que le jour même de sa nomination, le révérend docteur
médecin chanoine Fogacer me parla de lui tandis qu’il prenait avec nous, en
notre hôtel des Bourbons, la repue de midi. Il vint avec un autre petit clerc
que celui auquel nous étions habitués, et je fis un clin d’œil à Catherine pour
qu’elle ne posât aucune question à ce sujet.
En revanche, Fogacer s’inquiéta de ne plus voir avec nous
Nicolas, et comme j’ouvrais la bouche pour lui expliquer son absence,
Catherine, me ravissant la parole, lui apprit que Nicolas avait été atteint,
durant la campagne du Roussillon, d’une fièvre peut-être paludéenne, tant est
que sur mon ordre il se soignait dans mon domaine d’Orbieu (en compagnie de sa
charmante épouse) par le repos, le bon air, et la quinine des jésuites.
— Eh bien, dis-je, mon cher Fogacer, que pensez-vous de
ce cardinal italien qui va d’ores en avant gouverner le royaume de
France ?
— Que c’est pour ledit royaume une grandissime chance.
— Quel grandissime éloge vous faites là de lui !
— Mérité. Et si vous me le permettez, je vous en dirai
le pourquoi par le menu.
— Je vous ois, vous assurant que ni Catherine ni moi
n’oserons vous interrompre.
Là-dessus, Catherine, voyant cette petite pierre tombée dans
son jardin, bouillonna de colère, mais ne pipa mot. Certes, je ne perdais rien
pour attendre. Fogacer parti, elle sortirait ses griffes, mais je n’aurais rien
à craindre dès lors, revêtu que je serais de ma cuirasse d’innocente
ingénuité : « Mon petit belon, dirais-je, c’est évidemment par amour
que j’ai associé ton silence au mien. »
— Mazarin, dit Fogacer, n’est pas né, comme disent les
Anglais, avec un cuiller d’argent dans la bouche. Son père venait de la moyenne
bourgeoisie et sa mère de la petite noblesse. Mais c’étaient de bons parents,
et voyant leur fils si éveillé et si industrieux, ils ne lésinèrent pas un
instant sur son instruction, l’envoyant étudier de prime à Rome chez les
jésuites, où il fit merveille, et ensuite à l’université d’Alcala de Henares en
Espagne où, tout en apprenant le castillan, il conquit les titres de docteur en
droit civil et docteur en droit canon. Il fit ensuite un stage de deux ans
comme capitaine dans l’armée pontificale.
— Et pourquoi diantre, dis-je, fit-on faire ce stage à
un docteur en
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