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Le Grand Coeur

Le Grand Coeur

Titel: Le Grand Coeur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Christophe Rufin
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d’Orléans, celui qui m’avait accueilli à la
cour, qui avait cherché la mort et trouvé la gloire, jusqu’à ce jour que nous venions de vivre et qui, en les
comblant, anéantissait tous nos désirs. Nous avons tiré
nos chaperons sur le front, pour que nos visages restent
dans l’ombre, et nous avons arpenté les rues. Nous avons
longuement parlé du passé, comme si nous refusions
l’évidence qu’il nous avait quittés. Puis Dunois s’est mis
à soliloquer sur les conquêtes à venir. Son enthousiasme
forcé masquait mal que, s’il y avait encore des batailles,
il leur manquerait désormais l’essentielle quoique invisible incertitude sur leur issue.
    Finalement, nos pas nous ramenèrent vers le château
où nous étions logés. Nous nous fîmes connaître de la
sentinelle et nous avançâmes vers la grande cour. Du
donjon, par les fenêtres entrouvertes des appartements
qu’occupait le roi, venaient des rires de femmes et des
notes de musique. Dunois s’arrêta, regarda vers lespièces éclairées d’où sortaient ces bruits joyeux et, soudain, se tourna vers moi.
    — Prends garde à lui, souffla-t-il, en désignant du
menton l’étage où se tenait le roi.
    Son haleine disait assez qu’il parlait sous l’emprise de
l’alcool, mais si sa parole était jusque-là confuse et son
esprit embrumé, à cet instant, il semblait parfaitement
maître de lui.
    — Tu l’as sauvé et maintenant il n’a plus besoin de toi.
    — A-t-il dit quelque chose qui ait pu te laisser penser...?
    Mais la lucidité, déjà, s’était retirée du visage de
Dunois. Il secoua la tête et fit une grimace douloureuse.
    — Bonne nuit ! lança-t-il.
    Et il disparut dans le corridor qui menait à sa chambre.
    *
    Je dormis mal et, le lendemain matin, je me levai peu
après l’aube. Le château était abruti par l’ivresse et la
fête. Marc était introuvable. Il n’avait sûrement pas été
le dernier à profiter des réjouissances. Je descendis moi-même aux cuisines pour tenter de trouver quelque
chose à manger. Deux mitrons dormaient à même la
table à découper, près du fourneau tiède. En ouvrant
des placards, je tombai sur un pot de beurre et, au fond
de la huche, dénichai un croûton de pain. Je tirai un bol
en grès d’une montagne de vaisselle sale et l’essuyai au
tablier d’un des mitrons endormis.
    Je remontai en portant ma provende et dégageai un
espace entre les bouteilles qui jonchaient une table de
pierre, sur la terrasse fleurie du château. Le soleil était
revenu et il couvrait la ville d’une tiédeur bienvenuepour tous ceux qui étaient tombés dans le sommeil en
pleine rue ou sur le pas de leur porte. Je rêvais là depuis
une heure peut-être quand un homme s’encadra dans
l’entrée du grand salon. Il tenait dans une main une
cruche et dans l’autre un pot de salaison fermé par un
tissu à carreaux rouges et blancs. C’était Étienne Chevalier. Nous nous étions à peine vus pendant les cérémonies. Il faisait partie d’un autre groupe, qui chevauchait derrière le roi René. Je compris à son air qu’il
n’avait pas mieux dormi que moi. Sa barbe, que d’ordinaire il tenait rase avec soin, lui noircissait le visage
et il avait les yeux rouges et gonflés. Il s’assit à côté
de moi, ôta le tissu qui fermait sa terrine et se mit à
fourrager dedans. Il avait dû, lui aussi, arpenter au petit
bonheur les cuisines.
    Nous nous mîmes à parler de la fête et ce fut pour
constater combien elle nous paraissait déjà lointaine.
Nous étions surpris l’un et l’autre, malgré notre expérience de la vie, que l’exaltation ait pu retomber si lourdement et si vite.
    Des valets ensommeillés commençaient à déambuler
dans les couloirs. Ils semblaient se diriger vers les appartements du roi. Chevalier et moi eûmes, j’en suis sûr, la
même pensée. Il connaissait Agnès et l’aimait aussi,
quoique d’une manière bien différente, plus distante et
plus respectueuse.
    — On m’a dit que l’une de ces dames passe devant
toutes les autres, hasardai-je en répétant un propos
entendu je ne sais où pendant la nuit.
    — Antoinette de Maignelay, murmura Chevalier, et
son regard mauvais fixait les fenêtres du roi.
    Il y eut un long silence gêné. Nous ne nous connaissions pas assez pour aller plus avant dans les confidences
et parler librement entre nous de la conduite du roi.
    — Jamais je n’aurais cru, reprit-il en revenant à lui,
que je connaîtrais ce

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