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Le Grand Coeur

Le Grand Coeur

Titel: Le Grand Coeur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Christophe Rufin
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trinquâmes. Je vis qu’à la surface de mon vin
flottait un moucheron et pourtant je bus mon verre
d’un trait. Ravand exerçait déjà sur moi son pouvoir.
    Il m’expliqua qu’il arrivait d’Allemagne où il avait
tenu son emploi pour plusieurs princes. La taille de leur
État ne suffisait pas à ses ambitions ; il était passé en
France par le Nord, avait rencontré les Anglais et s’était
mis à leur service. Après avoir séjourné plusieurs années
à Rouen, il avait repris la route, décidé, cette fois, à
servir le roi Charles. Il ne m’expliqua pas les raisons de
ce changement et je ne me sentais pas l’audace de le lui
demander. La suite prouva que j’avais tort.
    Ravand parlait du roi Charles comme d’un princeplein d’avenir. C’était assez rare pour m’étonner. On
n’évoquait son nom d’ordinaire que pour commenter
les défaites qu’il subissait.
    — Puis-je savoir, s’il vous plaît, osai-je interroger, en
quel talent vous vous illustrez ?
    À vrai dire, j’avais cru jusque-là qu’il était à la tête
d’une troupe de mercenaires. Le pays était infesté de
ces gentilshommes errants qui mettaient leur épée et
leurs gens au service de ceux qui proposaient la meilleure solde et les plus attirants pillages.
    — Je suis monnayeur, me dit Ravand.
    Les monnayeurs sont les forgerons du métal précieux.
Leur art emprunte aux mystères chtoniens de la mine et
du feu. Au lieu de marteler des socs de charrue ou des
lames de couteau, ils fabriquent ces petites pièces d’or
ou d’argent qui vivent ensuite leur vie en circulant de
main en main. Le chemin des monnaies est une incessante aventure, avec ses haltes dans les poches, ses sorties dans les odeurs de foin et de bétail des marchés, ses
moments de bousculade, dans les coffres pleins des banquiers, ses intermèdes solitaires, dans la besace du
pèlerin. Mais à l’origine de toutes ces péripéties, il y a le
moule du monnayeur.
    J’étais d’autant plus étonné d’apprendre la profession
de Ravand que c’était celle de feu le grand-père de
Macé. Je l’avais connu quelques années avant sa mort.
C’était un bourgeois discret, pondéré et craintif. Il avait
exercé son métier dans notre ville grâce à une patente
du roi Charles V. On pouvait difficilement imaginer personnalités plus dissemblables que ce notable replet aux
mains soignées et le brutal Scandinave à la moustache
dégouttant de vin.
    En même temps, cet aveu m’éclairait sur les raisons
qu’avait Ravand de me rencontrer. Il ne me cacha d’ailleurs pas la vérité.
    — Un monnayeur doit être riche, dit-il. Je le suis.
Mais pour que le roi me donne sa confiance, il faut qu’il
me connaisse, or il ne me connaît pas. Vous, vous êtes
né ici, dans sa capitale. Votre famille est honorable et
vous êtes apparenté par votre femme au dernier monnayeur de cette ville. Je vous propose de vous associer
avec moi.
    Ravand n’était pas du genre à s’emparer d’une place
forte par un long siège. Il était partisan d’un assaut
frontal et rapide. Me concernant, il avait raison. Eût-il
déployé de subtils moyens pour me convaincre, et
tourné longtemps autour du pot, qu’il aurait éveillé ma
méfiance et renforcé ma résistance. Tandis qu’en posant
son regard pâle sur moi, dans cette salle déserte où le
parquet n’était même pas encore raboté, il me gagna
immédiatement à sa cause. Je m’entendis accepter et
rentrai chez moi un peu grisé d’avoir plongé dans ces
eaux inconnues dont j’ignorais vers quel grand large
elles m’emmenaient.
    La fortune que transportait Ravand, jointe à mon
crédit dans la ville nous assura rapidement le succès.
Nous ne vîmes pas le roi, cependant son chancelier nous
fit savoir qu’il agréait notre entreprise. Nous ouvrîmes
un atelier sur un des terrains que Macé avait apportés en
dot. Les sicaires de Ravand en firent un camp retranché.
Dans des coffres scellés aux murs, s’entassaient les
métaux précieux, argent et or, qui nous étaient confiés,
sous la forme de lingots. D’autres armoires fortes
recueillaient les pièces que Ravand fondait en grandesquantités. On m’a prêté par la suite des talents d’alchimiste et ce fut une des explications que beaucoup de
gens apportèrent à ma fortune. La vérité est que je n’ai
jamais fabriqué de l’or qu’avec de l’or. Mais Ravand m’a
enseigné la meilleure manière d’en tirer profit, qui est
aussi la pire.
    Le roi, par

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