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Le Grand Coeur

Le Grand Coeur

Titel: Le Grand Coeur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Christophe Rufin
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semaine suivante. Je louai pour
nous trois une maison sur un coteau au milieu des
vignes. La Touraine, avec ses ciels clairs et sa légendaire
douceur, était propice aux longues déambulations, aux
repas interminables, aux soirées de discussion les pieds
tendus vers le feu de sarments que Marc allumait pour
nous.
    Je me rendis vite compte que mes compagnons
voyaient la situation autrement que moi. Ils ne connaissaient de notre projet que sa partie commerciale et ignoraient les plans plus vastes que j’avais conçus. Ils
comprenaient mal pourquoi je m’étais rapproché du roi
et l’interprétaient comme le désir d’asseoir notre capacité monétaire sur une solide charge de monnayage.
Quoi qu’il en fût, je ne les détrompai pas et leur
annonçai que j’avais acquis un office de change sur le
Pont-Neuf. C’était la vérité, mais il faudrait bien des
années avant qu’il n’entre effectivement en service. J’insistai sur les difficultés actuelles de la vie dans la capitale
et sur mon intention de reprendre ma liberté par rapport au roi. Ils l’accueillirent comme une bonne nouvelle. Car, quant à eux, ils n’avaient eu à subir aucune
des mauvaises expériences que j’avais traversées à Paris.
C’est pourquoi ils étaient optimistes et même franchement heureux. Guillaume avait établi dans le Languedoc
une base commerciale très solide. Par la terre, il commerçait avec la Catalogne et l’Espagne catholique, la
Savoie et Genève. Par mer, il expédiait des cargaisons en
Orient et, plus régulièrement, échangeait avec Gênes et
Florence. Il nous fit un état très précis des forces dans la
Méditerranée. Les négociants de Montpellier et de toute
la région s’étaient accoutumés à ce petit Berrichon travailleur et audacieux. Tout était prêt, désormais, pour
lancer le chantier d’un bateau qui nous appartiendrait.
Guillaume comptait sur notre rencontre pour nous faire
accepter cette importante décision.
    Jean, lui, arriva dans un équipage bizarre. Les brigands qui formaient sa garde l’avaient attaché à sa
selle afin qu’il pût s’y maintenir sans avoir à bouger les
jambes. Il avait reçu un mauvais coup à la cuisse au cours
d’une embuscade et sa plaie continuait de suppurer.
Cet incident n’avait pas ralenti ses journées, tout au
contraire. Il buvait et mangeait seulement un peu plus
que d’habitude. Ces aliments en auraient engraissé un
autre. Lui les brûlait au feu d’une activité qui ne s’arrêtait jamais. Même dans son sommeil, quand il reposait dans une chambre voisine de la mienne, je l’entendais s’agiter et crier. Le résultat était à la mesure de ses
efforts. Des charrois circulaient sur toutes les routes
pour acheminer les marchandises qu’il avait sélectionnées. Il disposait maintenant de correspondants et de
fournisseurs dans tous les grands centres de production.
    Depuis le traité d’Arras, il régnait dans toute la France
une atmosphère de liberté et d’enthousiasme qui facilitait le commerce. La guerre avait duré si longtemps que
chaque région s’était arrangée pour fabriquer ce dontelle avait besoin. On trouvait partout de quoi, bon an
mal an, se vêtir, se nourrir et se saouler. Mais il y avait un
immense désir pour ce qui venait de loin. Les femmes
rêvaient de tissus qui ne fussent pas semblables à ceux
que confectionnait leur ville et que toutes portaient tristement sur elles. Qu’un objet, un aliment, un vêtement
vînt d’ailleurs et il était immédiatement recherché.
    La France, en particulier dans le Nord et le Centre,
restait un pays ruiné par la guerre. Les bandes armées y
pullulaient encore, pillaient les campagnes et rançonnaient les villes. La situation était loin d’être redevenue
normale. Le peuple, à vrai dire, avait presque oublié ce
que le mot normal signifiait. La guerre durait depuis si
longtemps qu’elle constituait l’ordinaire de la vie. Il suffisait qu’elle s’atténue un peu pour que ce léger mieux
soit vécu comme un bienfait et presque confondu avec
le bonheur.
    Beaucoup de marchands avaient compris que les
temps leur étaient désormais plus favorables. Cependant
ils étaient encore pour la plupart rebutés par les difficultés qui persistaient. Ils se contentaient en général de
trafiquer un produit ou un autre, mais fort peu avaient
décidé, comme nous, d’échanger tout ce qui pouvait
s’acheter ou se vendre. J’étais assez fier de cette intuition. Il m’était apparu

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