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Le Grand Coeur

Le Grand Coeur

Titel: Le Grand Coeur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Christophe Rufin
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cesserions de
dépendre des autres pour nous approvisionner. Nous
maîtriserions les qualités, les quantités et les prix.
    C’est ainsi qu’obéissant aux intentions politiques du
roi et, en même temps, poursuivant les intérêts de l’Argenterie, je me tournai vers l’Italie. Au printemps, je
partis pour Florence.
    Cette fois, il me fallait convaincre et faire impression
sur des gens que je ne connaissais pas. Je disposais seulement de quelques relations dans le milieu des changeurs. Guillaume avait fait affaire pour une cargaisond’épices avec deux gros négociants de la ville, mais
sans jamais s’y rendre. Je choisis donc d’arriver, contrairement à mon habitude, en grand équipage et de faire
étalage de mes titres. Les Italiens, à ce que j’en savais,
goûtaient moins que nous la simplicité ou, plutôt, ils la
plaçaient ailleurs. La politesse, pour eux, consiste à tenir
son rang, et ce qui nous paraît ostentation n’est à leurs
yeux qu’un repère commode donné par une personne
pour que les autres puissent immédiatement situer
son rôle dans le grand théâtre de la société. Cette mise
au point faite, il était possible et même apprécié de se
comporter avec affabilité et naturel. Chez nous, le procédé est souvent inverse. Les grands personnages se
donnent une apparence de simplicité mais, pour faire
tout de même reconnaître leur importance, ils sèment
leurs propos d’insolences et de marques de vanité.
    Sitôt les Alpes franchies, je pris soin de revêtir de
riches vêtements. Mon cheval reçut des soins et fut harnaché de velours avec force gourmettes d’or et pompons chatoyants. L’escorte de dix lansquenets qui m’accompagnait portait une tenue uniforme, tout en cuir
fauve. En vue de Florence, nous déployâmes des oriflammes. L’un était aux armes du roi de France et l’autre
portait mon blason personnel, figurant trois cœurs et
des coquilles Saint-Jacques. J’avais pris soin de me munir
d’un interprète. C’était un vieil homme qui avait servi
jadis auprès d’un banquier lombard à Paris, avant que
les Armagnacs n’expulsent tous les membres de la
finance italienne de la capitale. Il avait accompagné son
maître dans diverses villes de la Péninsule et me fit
d’utiles descriptions de Florence.
    J’étais préparé à ce que j’allais voir. Pourtant, ce futun choc pour moi de découvrir cette ville. Je peux même
dire que ma surprise et mon émerveillement ont égalé
et peut-être dépassé ce que j’avais ressenti en Orient.
J’entrai dans une cité qui s’était développée avec harmonie, avait été épargnée par les guerres qui avaient
ruiné la France. La beauté des palais et des églises, à
commencer par le merveilleux Duomo couvert de
marbres colorés, me stupéfia. Le même raffinement que
j’avais apprécié en Orient avait cours sous ce climat
doux et ensoleillé, mais au lieu des déserts arides qui
entouraient les villes du Levant, Florence était cernée
de collines verdoyantes. Partout, des vestiges antiques
rappelaient que la civilisation vivait là depuis de nombreux siècles. Cependant, tandis qu’en Orient la civilisation, venue aussi de loin, semblait figée dans son raffinement, à Florence, elle ne cessait d’évoluer et de se
perfectionner.
    La ville débordait d’énergie, d’activité, de nouveautés.
On entendait dans toutes les rues le bruit des chantiers.
Tailleurs de pierre, maçons, couvreurs, menuisiers ne
cessaient d’ajouter de nouveaux palais au réseau déjà
serré des édifices. Je compris rapidement qu’il n’existait
pas dans cette cité libre la différence que nous connaissions chez nous entre nobles et bourgeois. Cette particularité rejaillissait sur les usages en matière de fortune
et notamment de construction. En France, palais et
châteaux sont pour la plupart l’héritage des nobles,
qui n’ont d’ailleurs plus les moyens ni de les entretenir ni d’en construire d’autres. Quant aux bourgeois,
leurs ambitions sont plus limitées que leurs finances :
ils craignent toujours de se hausser à une altitude que
leur naissance leur interdit d’atteindre. À Florence, larichesse ne connaît ni pudeur ni interdit. La seule précaution que prennent ceux qui en font étalage est de
veiller à ce qu’elle revête les apparences de l’art. La
beauté est le moyen qu’emploient les puissants pour
partager leur richesse avec le peuple.
    Nulle part je n’avais vu autant d’artistes et aussi

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