Le grand voyage
épicéas semper virens [16] regroupés tout en haut. Un manteau de conifères, comprenant non seulement des
épicéas, mais des ifs, des pins, des sapins et des mélèzes aux aiguilles
caduques, enveloppait les rondes épaules des plus bas sommets et recouvrait les
pentes abruptes des hautes cimes. Là, de subtiles variations de vert mettaient
en valeur le vert tirant sur le jaune des mélèzes. Au-dessus de la ligne
forestière, un collier de pâturages alpins blanchissait sous la première neige
et, couronnant le tout, le casque de glace bleutée surgissait dans toute sa
splendeur.
La chaleur qui balayait les plaines du souffle éphémère de l’été
s’évanouissait lentement, remplacée par l’étreinte glaciale de l’hiver. Bien qu’un
radoucissement ait tempéré leur effet dévastateur – sur une période
de plusieurs milliers d’années – les glaces se regroupaient pour un
dernier assaut avant que leur retrait ne tourne en déroute des milliers d’années
plus tard. Mais même pendant le répit précédant l’assaut final, les glaciers ne
recouvraient pas seulement les bas sommets ou les flancs des hautes montagnes,
ils emprisonnaient le continent entier dans leur étau.
Dans un tel relief accidenté, et de surcroît encombrés par le
bateau, Ayla et Jondalar avançaient plus souvent à pied qu’à cheval. Ils
escaladaient des pentes escarpées, franchissaient des crêtes, traversaient des
éboulis, et redescendaient des ravines abruptes, creusée au printemps par la
fonte des neiges et par les torrents alimentés par des pluies diluviennes,
fréquentes sur les montagnes méridionales. Dans certains lits, où l’eau
suintait des couches de végétation en putréfaction, les chevaux comme les
humains s’embourbaient dans la glaise collante. Des filets d’eau claire
ruisselaient parfois, mais bientôt, avec l’automne, les ravines déborderaient
de flots impétueux.
Plus bas, dans les forêts feuillues, les broussailles gênaient
leur progression, et ils devaient se frayer un chemin à travers les ronces ou
contourner les halliers. Les branches rigides et les épineux couverts de mûres
si délicieuses constituaient des obstacles infranchissables. Les ronces se
prenaient dans les cheveux ou dans les poils, et déchiraient les vêtements et
la peau des hommes comme celle des bêtes. Les épaisses toisons des chevaux des
steppes, mieux adaptées aux vastes plaines glaciales, se prenaient facilement
dans les épineux, et Loup, lui-même, avait son lot de bardanes et de
brindilles.
Ils furent soulagés d’atteindre enfin les forêts de conifères,
où l’obscurité empêchait la végétation de se développer. Mais sur les pentes
abruptes, le soleil perçait la voûte moins dense, et les sous-bois se
garnissaient de nouveau de broussailles. Chevaucher dans les forêts de hautes
futaies était tout aussi difficile. Les montures devaient contourner les
obstacles incessants, et leurs cavaliers éviter les branches basses. La
première nuit, ils campèrent sur un tertre, dans une petite clairière bordée de
hauts résineux aux aiguilles d’un vert profond.
Ils atteignirent la lisière de la forêt le deuxième jour, à la
nuit tombante. Enfin libérés des broussailles qui les déchiraient, ils
plantèrent leur tente dans un vaste pâturage, près d’un petit torrent.
Déchargés de leurs paniers, les chevaux partirent brouter sans attendre. Le
fourrage sec et grossier des terrains chauds de moindre altitude leur convenait,
mais ils mangèrent avec délice la douce herbe grasse des verts alpages.
Ils partagèrent leur pâturage avec un troupeau de cerfs dont les
mâles s’acharnaient à frayer leurs andouillers sur les branches. Le rut
automnal approchait et ils devaient libérer leurs cors de la mince couche de
peau appelée velours, irriguée par de minuscules vaisseaux sanguins.
— C’est bientôt leur saison des Plaisirs, remarqua Jondalar
en installant le foyer. Les combats ne vont pas tarder.
— Est-ce que les combats sont des Plaisirs pour les
mâles ? demanda Ayla.
— Je ne me suis jamais posé la question, mais pour certains
c’est possible.
— Tu aimes te battre ?
Jondalar parut réfléchir.
— J’ai eu mon compte de combats, assura-t-il enfin. Il
arrive qu’on soit entraîné dans une bagarre, pour une raison ou une autre, mais
je ne peux pas dire que j’aime ça. Pas si c’est sérieux, en tout cas. Pourtant,
je n’ai rien contre la lutte par
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