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Le granit et le feu

Le granit et le feu

Titel: Le granit et le feu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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poitrine l’épieu qu’un routier venait de lui lancer comme un pêcheur son harpon : Brouzeix. Il se précipita :
    — Compagnon !
    — Dieu vous assiste tous, messire, gémit l’homme éploré, en s’affaissant.
    Alors, frémissant de malerage, Ogier essaya l’impossible. Il tendit Confiance à Girard :
    — Tiens-la… Cette pigouille doit suffire !
    Il saisit à leurs pieds un des râteaux destinés à repousser les échelles et se plaça face au créneau par lequel apparaissaient les routiers.
    Une tête émergea, puis un buste couvert de mailles. Le damoiseau y appuya l’extrémité du tau de fer forgé la veille ou l’avant-veille. L’homme voulut l’écarter d’une main, mais Ogier poussa de toutes ses forces, aidé par Champartel soufflant et gémissant.
    La longue perche de frêne archonna [114] sans se rompre. Le damoiseau sentit vibrer les poumons de l’homme cramponné désormais aux barreaux pour ne pas choir à la renverse. Son sternum s’écrasa ; l’échelle remua, se dressa lentement et bascula, répandant au sol, sa charge humaine.
    — Le bonsoir à messire Canole !
    — Ou la bonne nuit, ajouta Champartel en laissant choir le râteau. Alors, messire, n’ai-je pas bien œuvré ? Ça, c’est de la birette [115]  !
    Un ricanement secoua les jeunes gens. Leur hilarité se propagea parmi tous leurs voisins dont la fureur et la frayeur labouraient les entrailles. La vue et l’odeur du sang, les cris, les hurlements, les crépitements des incendies, derrière eux, tout ce tumulte abhorré se dissolvait soudain dans cette certitude réconfortante : l’échelle était tombée.
    — Méfiez-vous, hurla Blanquefort. Par Dieu, rien n’est fini !
    Deux grappins churent et glissèrent, raclant les dalles. Le sénéchal les poussa d’un coup de pied. Une grêle de flèches et de pierres lancées par les archers et les frondeurs de Knolles s’abattit sur la courtine. Un homme bascula en se tenant la tête : Camboulive.
    — Six linfars férus à mort, dit le sénéchal en désignant les corps ensanglantés. Deux ou trois autres refoulés, encore vivants, hors des murs… Il était temps… Je ne sais si nous aurions tenu… Balance-moi ces ordures, Champartel, mais méfie-toi des carreaux et sagettes. Pas de danger que d’autres surviennent ici. Allons voir là-bas : on s’y bat fort.
    Là-bas, c’était dix pas plus loin, à la tourelle. Ogier suivit le sénéchal.
    Partout des cris, des plaintes. Les chaudrons vides fumaient. Là aussi, quand Ogier y parvint, une échelade avait failli réussir. Deux routiers se convulsaient, éventrés par un épieu. Un jeune du hameau avait été tué ; un carreau dans la face, près du nez, il gisait dans une attitude d’atroce épouvante. Un sang épais tavelait sa joue et se caillait dans sa bouche béante.
    — Pauvre Girauldon !
    Dominant sa répulsion, Ogier arracha le trait mortel, le lança par-dessus le crénelage et tourna le cadavre face contre la pierre. Jean surgit, l’épée sanglante, un étrange sourire aux lèvres :
    — On le jette ? Il faut dégager le passage.
    — Non… Aimerais-tu qu’on t’envoie parmi ces males gens, toi, si tu mourais ?
    — Une fois trépassé, je m’en soucierais point !
    Ogier regarda autour d’eux. Aspergés de sang ennemi, Pedro del Valle et ses compagnons étaient là. Ils n’avaient endossé aucun vêtement de fer. Ils avaient bataillé vêtus en bourgeois et s’étaient si bien démenés qu’ils chancelaient un peu ; ils souriaient. Il leur adressa un geste d’amitié, puis se pencha au-dessus du vide.
    Le fossé grouillait toujours de grappes d’hommes acharnés à placer des échelles tandis que d’en haut, la mortelle réplique continuait.
    Blanquefort s’approcha, regarda loin devant :
    — D’autres arrivent… Tu les vois ?
    — Oui, dit Ogier. La lune fait étinceler leurs fers.
    — Ils sont une centaine… Canole semble hésiter.
    — Qu’ils partent ! gronda soudain le damoiseau à bout de nerfs. Qu’ils relinquissent [116]  ! Canole n’a-t-il pas suffisance de morts ?… Il est vrai qu’il est demeuré en deçà de la fête !
    Un dégoût incoercible le prenait tout à coup d’être là et de surplomber pareille boucherie. Il était comme étouffé par le vent d’horreur qui enveloppait Rechignac. Détruire, pourfendre, trancher, meurtrir ; écouter les cris de haine et de désespérance ; occire avec une joie qui pouvait devenir

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