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Le granit et le feu

Le granit et le feu

Titel: Le granit et le feu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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laisser venir.
    Sous les mailles de son haubert, Ogier ruisselait de sueur. Cette attente broyait ses nerfs. Confiance pesait à sa hanche.
    — N’attends pas, dit Guillaume, pour lui donner de l’air !
    Le damoiseau dégaina. Son cœur battait. Il était comme hypnotisé par ce noir profond, insondable sous lui, devant lui. Imitant le sénéchal, il s’approcha de l’extrême bord de la paroi, scruta l’obscurité, n’y vit rien et décida de faire un pas en arrière quand soudain, courbe et fine comme une lame sarrasine, la lune lacéra les ténèbres. Sa lueur blafarde, indécise, révéla les rocs blêmes et la dentelle des roncières puis, à mesure que s’étendaient les effets de cette clarté, d’autres formes, cette fois bien distinctes et proches de l’enceinte : des échelles, le long de la contrescarpe et, dans le fossé, des piques, vouges, épaulières, ainsi qu’un bosselage de chapeaux de fer au-dessus d’une cohue de visages sombres.
    Le cri de Blanquefort foudroya le silence :
    — Boutez le feu aux torches afin qu’on y voie clair… Envoyez les boulets, les rocs. Versez l’huile et l’eau boulue [107]  ! Enflammez la paille !
    Des brandons surgirent de la nuit. Poussées jusqu’aux créneaux, puis incendiées, les bottes crépitèrent et churent, comètes rougeoyantes, sur les routiers dont les clameurs, jaillirent.
    « Combien sont-ils ? se demanda Ogier. Cent ? Deux cents ? »
    Il demeurait immobile, le poing crispé sur son épée, saisi, assourdi, bien qu’il le connût, par le vacarme jailli de la fosse en même temps que les flammes, les étincelles et les fumées. Il y voyait, maintenant, à peine moins qu’au crépuscule.
    Un cri lança la horde contre la muraille, échelles hautes.
    — Allez, les petits gars ! hurla Girard aux enfants affectés aux boulets… Ayez pas peur… Poussez-moi ça dans les trous.
    Ogier se pencha. La lourde pluie de mort accablait les conquérants, broyant, fracassant, emportant parfois le bas d’une échelle et l’homme de pointe prêt à grimper. De la Guillaume à la tourelle, moins menacée, les archers tiraient sur ce rassemblement tonnant et craquetant où les cris de haine et les hurlements de douleur, les chairs intactes et meurtries, les flammes et le sang se conglutinaient.
    — Les capiteux [108]  ! enragea Champartel. Ils sont tout de même moins durs que mon enclume !
    Étourdis, basourdis par cette avalanche pire que les précédentes, Goddons et Gascons barbotaient dans les dépouilles putréfiées des victimes antérieures, puis foulaient de leurs pieds gluants de pourriture les corps des blessés récents, hâtant le trépas des mourants ou aggravant leurs affres. Ils eussent pu reculer ; ils s’acharnaient. Ils devaient atteindre les créneaux !
    Des pierres bourdonnaient au-dessus des défenseurs.
    — Ils ont des frondeurs.
    — Certes, Ogier, dit Blanquefort. Frondes et fustibales [109]  !
    — Les hommes qui élinguent [110] sont de l’autre côté du fossé, adonques pas dangereux.
    — Manquerons-nous de paille ?
    — Si par malheur elle fait défaut, il nous reste de la brelée [111]  !
    Le sénéchal avait réponse à tout. Il ajouta, cependant :
    — Pourvu que le ciel ne s’assombrisse plus !
    Ogier fit quelques pas pour savoir si partout, le long de ce mur convoité, la résistance était la même.
    — On lapide ! lui cria le fils Pimouguet.
    Ses compagnons poussaient des rochers dans le vide ; d’autres, comme lui, faisaient tournoyer leur fronde. Tout proches, des archers puisaient dans leur carquois.
    Un homme tomba. L’Anselme.
    « Eh bien, pensa le damoiseau, l’Huguette Joulet n’en aura pas profité longtemps ! »
    Puis, levant les yeux :
    — Regardez, Hugues ! Regardez !
    Assemblés sur une butte, hors de la tourmente, quatre chefs immobiles attendaient : Knolles, Briatexte, sans doute Bemborough et Mélipart. Les rafales de cris, le cliquetis des armes, les craquements des échelles rompues avec leur charge humaine ? Rien ne les atteignait. Derrière eux, plusieurs rides profondes, composées de fer et d’ombre, révélaient des hommes prêts à se joindre au premier flot des agresseurs.
    — Il nous faut des rochers ! cria un jouvenceau.
    — J’en fais monter ! hurla quelqu’un.
    D’un coup de gantelet, Blanquefort essuya son avant-bras gauche en sang. Un carreau, sans doute, que les mailles avaient dévié. Sa lèvre inférieure avançait

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