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Le granit et le feu

Le granit et le feu

Titel: Le granit et le feu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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l’immense vaisseau de pierre figé sur les vagues rocheuses inspirait des sentiments paisibles. Non seulement on s’y savait à l’abri, mais on le sentait puissant, hermétique. Son donjon, ses murs aux flancs desquels brillaient les flammes des pots à feu entourées d’un voile de papillons et de moustiques, le va-et-vient des flambeaux dans la cour et, de loin en loin, les voix tranquilles d’un homme, d’une femme vaquant à quelque ouvrage – tout cela dispensait quiétude et confiance.
    — As-tu vu Saladin ?
    — Il est à l’écurie, cousin… Crois-tu qu’il sait le mal qui nous advient ?… J’ai beau me dire que ces murailles sont larges, hautes, solides…
    Tancrède derechef n’acheva pas sa phrase. Et tandis qu’elle l’observait, étonnée par une froideur qu’il maîtrisait à grand-peine, Ogier compara cette forteresse menacée au château de sa prime jeunesse. Dans son esprit troublé les tours de Gratot s’érigèrent, couvertes d’ardoise mal équarrie, mais gracieuses, surtout celle qu’on appelait la Tour de la Fée à cause d’une légende dont un de ses ancêtres et son épouse, une sœur de Mélusine, avaient été les auteurs. Il évoqua les eaux sirupeuses des douves, ridées par les palmes des cygnes et des canards, les vrilles des anguilles et le souffle humide et froid du vent de mer. Puis le porche d’entrée et son pont-levis, d’où les bâtiments des communs partaient comme deux ailes géantes…
    — Montons voir ce qui se passe, proposa Tancrède.
    Il la suivit dans l’escalier de la tour sud, fasciné par le balancement de ses hanches, et les imaginant nues.
    Il n’avait qu’à tendre les mains, l’immobiliser dans un renfoncement, ouvrir son encolure en pointe, retrousser sa jupe ; savoir enfin quelle était la tiédeur de cette toison entr’aperçue quand elle gisait sur la paille de l’écurie. Peut-être le laisserait-elle agir… Parfois, dans ses songeries, il cédait à ces hardiesses. Elle ne le repoussait que pour aiguiser son désir. Il se sentait d’esprit impétueux, aussi vaillant et solide que ces champions du champ clos qui, dans les gestes plus ou moins belles, séduisaient d’une prouesse et d’un seul regard de capiteuses gentilfames.
    Tancrède se retourna.
    — Que fais-tu, cousin, à ne plus avancer ?
    Il la considérait. Ardemment. Inceste ou non, il eût aimé s’ébattre avec elle, connaître les richesses de ce corps, les flairer, les parcourir des lèvres avant que de s’en repaître. Quelque précaution qu’il mît à la dissimuler, l’envie qu’il avait d’elle devait être tellement voyante qu’elle l’avait sûrement en horreur.
    — Viens donc !
    Ils parvinrent sur le chemin de ronde. Jean du Taillis veillait. Deux soudoyers, Norbert et Salviac, lui tenaient compagnie.
    — Le ciel se dégage, dit Jean. La lune éclaire enfin les parois et leurs abords.
    — Veillez bien, compères. Ne perds pas, Jean, ton olifant. Il me paraît aussi précieux qu’une épée.
    — N’ayez crainte !
    Ogier releva, inquiet :
    — Les murailles ont été dégarnies.
    — Oui… Mais les hommes sont allés dormir tout habillés… Et si je peux me permettre… Blanquefort a interdit les aleoirs aux dames.
    — Je sais, dit Tancrède. Mais ne crains rien, Jean, nous allons redescendre… Viens, cousin…
    Ils firent quelques pas sur le chemin de ronde et levèrent les yeux vers le donjon. Le baron y avait fait hisser sa bannière ; elle claquait, arrogante, dans le ciel constellé d’éperons d’or. De l’autre côté des falaises de pierre, les feux de Robert Knolles avaient un air pacifique.
    — Si Guillaume acceptait, tu pourrais descendre par le souterrain, dit Tancrède quand, ayant contourné la Mathilde, ils furent suffisamment loin des guetteurs. Tu nous ramènerais une armée.
    — Je ne vais pas partir au moment où ton père a plus que jamais besoin de moi… S’il faut envoyer quelqu’un au-dehors, c’est un homme qui répugne à tenir une arme… Tiens : Bressolles !
    — J’y pensais, cousin.
    — Seuls ton père et Blanquefort connaissent l’entrée du souterrain. Est-il seulement en bon état ?… Il a plus de cent ans d’âge.
    — Et cette entrée, cousin ?
    — Elle se trouve sous l’échansonnerie. On l’atteint par un couloir ouvert dans la seconde cave du donjon… où jamais personne ne descend.
    — Et sais-tu où il aboutit ?
    — Non.
    Une ombre se détacha du

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